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Carnet de bord.

En allant au Mont des Arts par les escaliers du boulevard de l’Empereur, je ramassai sur un des larges paliers en forme de terrasses un calepin de note à la couverture de cuir rose. Sans souscription, ni numéro de téléphone, je crus difficile de le restituer à son propriétaire. J’avisai un banc. Je m’assis et je le lus, considérant que le titulaire resterait inconnu, et que c’était moins par indiscrétion que par souci littéraire que je déchiffrai une écriture fine, maniérée que j’imaginai être celle d’une bourgeoise ayant quelque érudition.
J’en livre ici quelques extraits.
« Carnets de campagne.
13 juin. Je forme une entreprise qui n’eut jamais d’exemple et dont l’exécution n’aura pas d’imitateur. Je veux me montrer dans toute la vérité de la nature au lendemain d’une campagne électorale ayant abouti aux résultats que l’on sait. Que la fin de la Belgique sonne, je viendrai ce carnet à la main, me présenter devant les électeurs. Je dirai hautement ce que j’ai fait, ce que j’ai pensé, ce que je fus. »
Avant de poursuivre la lecture, je m’arrêtai. Ce préambule me rappelait vaguement un texte célèbre. J’eus la confirmation de mon intuition dans l’intimité de mes livres, plus tard chez moi, rue de l’Ermitage. Il s’agissait de l’introduction des Confessions de Jean-Jacques Rousseau, avec les quelques modifications propres à l’auteur du calepin. Comment pouvait-on plagier Jean-Jacques ? Sinon, que ce calepin était destiné à rester secret. Il dénotait seulement une personnalité au fort ego qui se payait le luxe de recréer du Rousseau avec la conviction qu’elle donnait une chance à l’autre !
Je repris ma lecture.

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« 17 juin : B De W nommé !... J’enrage. A 2 l’a chargé d'une mission d'information.
Bonaparte avance à marches forcées, mais il est impossible qu’il atteigne Paris.
8 juillet : Enfin, le rideau se lève et c’est le meilleur sur le devant. L’autre est déchargé, comme il le serait d’une semi-remorque. Je suis le maître du monde. Je commande aux éléments !
L’écart entre le réel de B De W et sa représentation aboutit à la revalorisation de l’image sur la réalité : l’écart, c’est l’espace de la paranoïa et du narcissisme. Il y a quelque chose de violent dans cet homme. Quoique n’étant pas mon type dans ma vie professionnelle, en privé, j’aime la violence et la virilité dont je le crois pourvu. Il me fait penser à Balzac sans le génie. Nous sommes appelés à nous voir souvent dans des endroits secrets. Il aime le café fort. Je lui en ai servi deux tasses sans sucre et sans lait. Il boit en soufflant dessus. » Il me dit qu’il est de A en sortant des waters et en rattachant sa braguette devant moi. Je détourne les yeux.
« 25 juillet : Les 7 se réunissent pour la première fois. Tandis que je leur souhaite la bienvenue tout simplement, je me sens envahi par la conscience de ma supériorité. Je me vois dans la clairière assoupi en un cercueil de verre, tandis que les 7 nains reviennent du travail en sifflant un air joyeux. J M c’est Grincheux, J J prof. Il faudra que je me méfie de L O. Elle est capable de me souffler le prince. P M a une barbe de 8 jours. Son look nouveau coïncide avec mon nouveau travail. Serait-il un nain gras (je ris du jeu de mots) ?
30 juillet : Premier rapport chez A 2. Il veut que j’approfondisse mes relations avec B De W. C’est hallucinant, A 2 ne comprend rien à la situation. Je pensais en l’écoutant combien les mots s’élèvent, tandis que les actions rampent sur la terre et s’y cramponnent. Il a une tache de graisse sur un revers. Il faudra que je retire mon complet bleu du pressing. Je le ferai chercher demain.
18 août : A 2 me demande de poursuivre. Il me propose une partie de billard aux trois bandes. Je refuse. Tenir une queue en main m’émeut trop.
26 août : C’est le blocage. B De W a l’air de s’en foutre. Il me dit qu’il fait du patin. Je me rappelle avoir donné les miens à un neveu. J’ai cru un moment qu’il me faisait des avances. La presse de ce matin me donne le cafard. Je ne pensais pas que la situation était aussi grave telle que B D la décrit dans son édito. Il faudra que je me compose une attitude de circonstance. B De W se fait un sang d’encre pour la périphérie. Il ferait mieux de penser à autre chose. Il se fâche. On se quitte brouillés. Le portier me dit que c’est parce qu’il a promis à son fils de le prendre à la sortie de l’école.
29 août : A 2 ne veut pas me décharger. Il est emmerdé. J’ai beau lui dire qu’on s’est brouillé avec B De W, il me dit de faire un effort… Je verrai. Je lui promets de changer de costume. Je mettrai le bleu roi. Il m’approuve. Il parle de catastrophe. Je l’assure que non. J’ai un plan. Je n’en dis pas plus.
30 août : Je leur dis que c’est un accord ou le chaos. L’idée m’en est venue en lisant le New-York Times à propos de l’Irak, où là, c’est déjà le chaos, puisque je n’y suis pas. C M m’a écrit un beau texte que mon traducteur traduit en flamand. C’est drôle, cette langue me fait mourir de rire. Il faudra que je me surveille. L’autre jour, mon bridge n’a pas tenu.
3 septembre : A force de parler de table, le 30 août, j’ai été pris d’une de ces fringales ! J’ai trouvé un petit resto tranquille derrière la porte Louise… Bon, c’est l’échec… B De W est un con et puis c’est tout. Tant mieux pour moi, parce que si ce type avait dit oui, avec ce que je lui ai concédé, il ne me restait plus qu’à partir incognito finir mes jours dans un paradis fiscal. M m’aurait liquidé.
4 septembre : A F et D P prennent la suite. Avec moi, on était au Siècle des Lumières, avec eux, on entre en classe de rattrapage. Je me demande si A 2 ne perd pas la tête ?
L’inintelligence subit. La sottise agit. Et ces deux là en sont tellement pourvus qu’il faudra bien qu’on torche quelque chose à propos du plan B. Et cette fois, ce n’est pas de la rigolade. »
Le carnet s’achève ainsi. Je me lève du banc et avise une poubelle. J’y jette le carnet rose en ayant conscience que je retranche un témoignage vécu de l’Histoire récente.
Si on ne veut pas du réel, il est préférable de regarder ailleurs…

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