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Les cafés philos.

Quelques grandes villes réunissent les conditions pour grouper autour d’une table (grand dieu ! qu’on ne me parle plus de table ronde) des hommes et des femmes susceptibles de tenir des propos touchant à la philosophie.
Chacun s’y exprime selon ses facultés et ses connaissances, abordant des sujets divers, un peu comme le faisaient jadis le sous-préfet, le percepteur des contributions et quelques professions libérales au café du commerce. Les temps nouveaux ont balayé cet élitisme dérisoire de la Belle Epoque et permis une certaine démocratisation, ouvrant à tous le droit d’étendre les jambes sous une table, de boire un verre et d’aborder, selon sa fantaisie et celle des autres, les grands sujets de conversation ou les bruits qui courent à propos des petits.
Une différence de taille, cependant, avec le café du commerce, on y a une prétention supplémentaire : celle de philosopher.
Et c’est assez contradictoire dans la réalité des choses.
Le café philo n’est pas l’endroit idéal pour surmonter facilement trois difficultés en philosophie, à savoir la perception, les pulsions et la déraison, sans oublier un quatrième écueil : l’indispensable rhétorique à rendre compréhensible sa pensée aux autres.
Si on y commet et y entend parfois des brèves de comptoir, ce n’est cependant pas le lieu des concepts et des critiques conjugués. On n’y pratique pas la raison pure, sinon dans un pur balbutiement, parfois couvert par un concert de mugissements béotiens.
Les problèmes intellectuels de notre temps peuvent y être présentés dans un langage qui se rapproche un peu plus du langage courant. On y jargonne bien, mais c’est pour se rendre compte que la langue de bois de nos « élites » politiques n’est pas trop éloignée du discours philosophique à l’ancienne - toujours enseigné dans nos Facultés - et qu’il n’y a rien de plus difficile de faire simple, quand la prétention pousse à faire compliqué.
Il faut peu de choses pour confondre un discours linéaire et simple avec le simplisme des raisonnements courts.
Si Schopenhauer et Nietzsche ont montré qu’on peut traiter des problèmes difficiles sous une forme esthétique, c’est qu’ils étaient aussi poètes, et que cette condition laissa des traces dans leur personnalité. C’est sans doute ce qui a manqué le plus jadis au café du commerce : un sous-préfet aux champs, et aux cafés philos, une plus fine perception du second degré, indispensable à l’humour discret.

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L’intérêt d’un café philo réside ailleurs. Se pose la question de savoir dans quelle mesure le refoulement et l’angoisse jouent un rôle dans le développement de la pensée philosophique. Si bien qu’il y a très peu d’habitués à ces rendez-vous de la parole qui viennent vraiment philosopher. Leur but – souvent ignoré par eux-mêmes – est d’y chercher une thérapie à caractère psychologique.
Une hypocrisie bénigne est donc à la base de la mise en avant de la métaphysique en ces lieux ou alors, l’hypocrisie est consensuelle et s’appelle une philosophie psychanalytique, ce qui est différent de ce que Jung appelait la psychologie de la philosophie.
Il semble aller de soi que les riches connaissances actuelles touchant la vie psychique ont des effets sur la philosophie et vice versa ; cependant, qui connaît un café psycho – il en existe un excellent à Seraing – sait combien les habitués des deux cafés sont dissemblables, et comme un discours philosophique a le don d’exaspérer la clientèle des cafés psychos. Par contre, cette aversion n’est pas si marquée du côté de la philosophie qui mélange plus aisément les genres. Il arrive même souvent qu’au lieu de philosopher, l’intervenant établisse une anamnèse involontaire de ses difficultés psychologiques et, par conséquent, se trompe de café, sans pour autant qu’on le lui fasse remarquer, parce que, quelque part, philosopher aujourd’hui relève aussi de la psychanalyse.
S’il fallait risquer une comparaison, on pourrait dire que le café psycho entre dans une thérapie des angoisses, par un soin collectif et que le café philo est son placebo.
Franchement, je verrais l’utilité du premier comme acquise ; tandis que j’envisagerais l’autre comme un divertissement « parfois » de qualité, mais aussi « par moments » aussi médiocre que des réunions de buveurs autour d’un jeu de fléchettes.

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