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Fin des journaux papier ?

A quelques rares exceptions près, les journaux sont victimes de leur propre stratégie. Elle consiste à conserver le gros des lecteurs par une consommation journalière des petits potins et faits divers, mais avec la modération qu’impose la loi et une certaine dignité et retenue de tout bon journaliste.
On peut, par exemple, compte-tenu que par le passé la Russie d’aujourd’hui s’appelait l’URSS, dire pis que pendre de Poutine, sans recouper l’information d’avoir fait interner sa femme dans un hôpital psychiatrique comme au bon vieux temps ; mais, on ne peut pas rappeler les origines maghrébines de Nordine Amrani, en soulignant, au contraire, que c’était un Liégeois, de nationalité belge. Si Nordine Amrani avait été un Liégeois de souche, certains journaux auraient laissé entendre que la haine des étrangers était une motivation possible.
Pour la presse, on se fout de Poutine et de la Russie, mais on fait gaffe de ne pas traverser l’événement liégeois en-dehors des clous.
Vous voyez l’équilibriste sur le fil tendu qui a pour mission de remplir sa gazette et faire du chiffre ?
Eh bien ! cela va mal dans la presse parce qu’elle a dorénavant un concurrent redoutable qui peut dire tout et n’importe quoi : l’internaute.
Les internautes ne connaissent pas les interdits. Le racisme ? Ils adorent, en raffolent et en redemandent. Ils n’ont aucune information sur un sujet qui les travaille ? L’imagination supplée à tout. De « source sûre » ils balancent des trucs qu’une quelconque réflexion mettrait à mal, le gros de la troupe se rue dedans, s’y vautre et en rajoute.
Les journaux font la fine bouche, pourtant, question de survie, ils y viennent aussi. Au nom de leur ancienne autorité en matière d’information, ils instituent des prix du meilleur internaute, listent ceux qu’on peut lire sans rougir, distillent une information électronique depuis ce qu’ils impriment quotidiennement et font en sorte de ne pas être submergés par la vague indépendantiste de la Toile.
C’est de bonne guerre. Cependant, les internautes poursuivent la fuite en avant et s’engouffrent dans ce couloir de liberté sans trop se soucier des journaux qui peinent à suivre à cause de leurs principes et des interdits de la loi.
Si raconter n’importe quoi, grossir l’événement, se produire soi-même en rédacteur en chef d’un blog est assez réjouissant, on ne peut pas dire que la plupart des internautes se croient investis d’une mission. Le blog est plutôt un défouloir. On y décèle autant de pathologies que de talents méconnus. C’est le lieu où se dégagent quelques évidences, que tout qui est doué de raison peut voir.
La première de ces évidences relève d’une suspicion généralisée de ce qui s’inspire de l’ordre bourgeois. On ne croit plus les journaux imprimés parce qu’ils ne montrent le plus souvent que le caractère officiel des choses. Ils n’interviewent que des gens plus ou moins attachés au système politique et économique, qui y sont naturellement par des intérêts matériels et qui sont, par conséquent, d’une manière ou d’une autre impliqués dans les affaires, dans la politique, dans l’air du temps, depuis un centre qui va du libéral au socialisme sans sortir jamais de ses limites. On prend le pouls des banques en s’adressant à un économiste issu du milieu bancaire. On demande à un libéral ce qu’il pense d’une mesure libérale. On croit qu’un politologue sorti d’une université située quelque part d’un côté ou de l’autre de la frontière linguistique est neutre et non influençable.
L’internaute, lui, même s’il travaille de la journée en col et cravate, rejette les convenances le soir. Il peut être aussi bien le gros beauf qui a sa petite idée sur tout et qui boit ses bières en regardant le foot, une main distraite entre les cuisses de sa femme vautrée sur le divan à côté de lui ; mais aussi, un fin lettré dont les idées originales ne seraient reprises par aucun journal, parce que justement elles dérangent l’ordre bourgeois. Il aura trouvé un public, des lecteurs, par le biais de la Toile.

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La seconde raison est d’ordre psychologique. On est frappé de la diversité des propos tenus, des outrances comme des traits évidents de bon sens.
Les internautes sont en train d’inventer un exutoire géant dont le sens doit faire réfléchir. En 2012, il n’y a plus d’élite ! Ceux dont on protège les statuts à coups de mensonges, de passe-droits et de diplômes, ne sont ni plus ni moins que des personnes quelconques privilégiées pour des raisons qui ne tiennent pas du mérite, ni du savoir supérieur, mais de l’espèce d’idolâtrie créée artificiellement pour maintenir une hiérarchie qui aide l’ordre social et rien d’autre à un semblant de discipline dans la population.
L’internaute est en train de mesurer sa force. Il en est grisé et s’abandonne à la joie de découvrir une vraie liberté, autrement plus vaste, que celle de la morale qui a déterminé un travail éducatif spécial des mentors dont il ne veut plus.
Cette liberté là est dangereuse au pouvoir en place. Les journaux, mine de rien, assignent une place aux « bons » internautes. La Chine est pionnière dans l’art de façonner les mors qui disciplinent les assidus de la Toile.
Les autorités amorcent déjà des parades pour contraindre une liberté vraie à une liberté supposée. Les interdits se font jour. Les piratages des films et des musiques sont les premiers prétextes à une surveillance. La détention ou la consommation d’images pornographiques est autorisée, l’interdit se limite à la pédopornographie. On sait bien dans les milieux médicaux, qu’en matière de sexologie le film pornographique est plutôt dissuasif dans le passage à l’acte et que, loin de susciter des vocations, il les éteint (pas toujours) par la répétitivité des scènes les plus crues dont le consommateur sature vite. L’officiel est pudibond. Il n’attend qu’un signe de la part du public friand de télévision et d’Internet pour interdire aussi la diffusion de la pornographie.
Enfin, le racisme imbécile, le racisme débridé, n’entraîne que ceux qui en sont déjà imprégnés. Finir par interdire de parole les racistes, c’est privé d’arguments ceux qui sont contre. Je ne trouve pas plus imbécile que celui qui décrète que la prose du marquis de Sade est ignoble, sans l’avoir jamais lue.
Ce que les internautes nous suggère n’est rien moins que la pensée de Sartre : « Si je range l’impossible salut au magasin des accessoires que reste-t-il ? Tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n’importe qui. (1)».
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1. Les Mots.

Commentaires

Quel brouhaha dans votre écriture et dans votre charpente de démonstration. Vous devez être quelqu'un de très tourmenté.

Mon cher Duc, je dois vous dire que je partage l'avis de Henry, tourmenté me semble même un peu faible..

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