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Flaubert.


Déjà en 1850, cela ne date pas d’hier, Flaubert tout bourgeois qu’il était, avait compris le système qui rendra, cent ans plus tard, les populations occidentales complètement abruties.
Bien sûr, l’époque de Flaubert (1821-1880) n’était pas avare en prophètes et autres philosophes. Proudhon entretenait des rapports difficiles avec Bakounine. Flaubert a certainement lu un premier brûlot en 1840, avec quelques formules de l’auteur du « Système » édité en 1846, « La propriété, c’est le vol. Qu'est-ce que la propriété ? » etc.... Marx n’avait pas écrit ses œuvres majeures, mais la boulimie de lecture de Flaubert avait certainement conduit « l’ermite de Croisset » à rapporter de Paris par le coche d’eau de Rouen, quelques œuvres inspirées du mouvement anarchiste et de l’aventure socialiste naissante. L’avenir du peuple s’était découvert meilleur, depuis les combats de rue de 1848.
Pourtant, Flaubert n’est pas intéressant pour les historiens. C’est un écrivain qui met l’art au-dessus de tout. Il se moque bien des bourgeois comme des gens du peuple. Il aura droit au mépris des adversaires du Second empire, puisqu’il se frotte au salon de la princesse Mathilde, cousine de Badinguet. Il ne comprend rien à l’insurrection de la Commune de Paris en 1871. Il écrit à son amie Georges Sand, femme de gauche, qu’il n’est pas homme à prendre parti et, en vieil écrivain égoïste, il n’aide pas son ancienne maîtresse Louise Colet, compromise et en grande difficulté financière après la Commune.
Plus tard dans un livre qu’il ne terminera pas, « Bouvard et Pécuchet », il déploie une immense érudition qui prouve qu’il appréhendait la société dans toutes ses composantes. Auparavant, il avait dépeint dans sa Bovary, la petite bourgeoisie louis-philipparde aussi finement que Balzac dans « La Comédie humaine ». .

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Ce qui me fait écrire cette chronique à propos d’un homme qui ne restera pas dans l’histoire par ses prises de position politique, ni par son intérêt pour le peuple et le social, c’est comme je l’ai écrit à la première ligne, il avait compris que l’exaltation du travail et sa glorification par la gauche revendicatrice, comme celle de la droite conservatrice, pour d’autres raisons, à savoir l’intérêt d’avoir des domestiques, étaient l’une et l’autre imbéciles. On se demande même si l’exaltation du travail par la gauche ne l’est pas davantage, puisqu’elle justifie l’esclavage au nom de l’humanité.
Flaubert, bourgeois oisif, certes, mais pas fier pour autant, comptait ceux qui gagnent leur vie à la sueur de leur front, comme une forme d’expression de la bêtise humaine.
Il en avait suffisamment vu dans les premiers ateliers de l’ère industrielle, pour comprendre que le charbon ne s’extrait pas de trente six manières et qu’une machine ne se met pas à fonctionner, que lorsque l’ouvrier en a envie, mais bien parce que le patron l’exige.
Sa formule « La fonction mécanise et idiotifie les êtres qui s’y réduisent » est toujours d’actualité. Il sentait bien que le travail continuerait d’anéantir l’homme au nom du progrès.
C’est au nom du progrès qu’un siècle et demi plus tard, on érigera le travail en récompense et le chômage en déshonneur. Certes, on ne travaille plus douze heures par jour, les enfants ne descendent plus dans les mines, il n’y a même plus de mines. Pourtant, on ne peut pas dire qu’aliéner sa vie à des tâches répétitives soit un progrès, qu’on nous reprend, du reste, au nom de la vérité économique. On ne peut pas se vanter que les « carrières » universitaires soient des réussites, dans la monotonie des jours et en absence de la liberté chère au cœur de tous les hommes.
C’est encore Flaubert qui a raison d’écrire « Tous les drapeaux ont été tellement souillés de sang et de merde qu’il est temps de ne plus en avoir du tout ».
Et enfin dans une lettre à Louise Colet « Les oiseaux en cage me font tout autant de pitié que les peuples en esclavage ! De toute la politique, il n’y a qu’une chose que je comprenne, c’est l’émeute. Fataliste comme un Turc, je crois que tout ce que nous pouvons faire pour le progrès de l’humanité ou rien, c’est la même chose. »
Enfin, cet écrivain hors format, ne se faisait des illusions sur rien, même pas sur son art, puisqu’il écrit à Sainte-Beuve « J’aime la littérature plus que tout. Mais, c’est comme la merde, je veux qu’on me la serve à part ».
Enfin, pour bien recadrer le milieu bourgeois dans lequel il vit : « J’appelle bourgeois, quiconque pense bassement ».
J’aurais bien voulu terminer cette chronique en défendant Léon Bloy. Cet écrivain catholique et fanatique, avait une conception pas trop éloignée de celle de Flaubert, mais c’est impossible faute de place et de temps.
Peut-être n’avons-nous plus de motifs d’aller puiser dans le passé, les raisons que nous avons de haïr le présent. C’est dommage. Nous en aurions bien besoin, ne serait-ce que pour mépriser l’argent qui tient lieu de tout en 2013.

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