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Théâtre à domicile.

Les pays riches ont les moyens de tuer le plus d’adversaires possibles en laissant leurs militaires chez eux devant leurs ordinateurs. Le drone « instrument d’homicide mécanisé » est au point. Il va modifier les comportements guerriers et faire en sorte que les « pays civilisés » n’auront plus à déplorer la perte de soldats sur les théâtres des opérations, comme on dit.
Voilà qui tombe à merveille, puisqu’aujourd’hui la perte d’un seul soldat dans une bataille est une catastrophe médiatique pour les politiques au pouvoir. Si par malheur, un contact avec l’ennemi en provoquait des dizaines, l’effet sur l’opinion en serait désastreux. Les veuves seraient cernées par les psychologues et les orphelins seraient embrassés par le président de la république devant la Nation et les caméras. Cependant, le parti au pouvoir tomberait dans les sondages.
On est de moins en moins surpris quand « un dangereux terroriste » pour Tel-Aviv, un « grand patriote » pour Gaza, barbu parmi des barbus d’une foule en colère, se fait occire par la foudre tombée du ciel, alors que le temps n’est pas à l’orage et qu’il n’a plus plu depuis quinze jours. C’est un drone conduit depuis une base située à 300 kilomètres de là qui a permis d’identifier la cible, anéantie par un projectile d’une extrême précision. Rares sont les victimes collatérales, les dégâts à l’environnement sont nuls et la réussite est à 90 % assurée.
Les "robots léthaux autonomes", rappelle cette expérience faite par des psychologues sur des volontaires qui peuvent sanctionner des « victimes » en poussant seulement sur un bouton, en comparaison à d’autres qui sont obligés d’appliquer la même sanction en payant de leur personne. Evidemment, ces derniers réfléchissent plus, appliquent le règlement moins scrupuleusement, voire se rebiffent et parfois refusent de punir.
Le drone libère de tous ces réflexes et scrupules humains en un seul coup d’aile. Le militaire pousse sur un bouton et c’est tout. Après journée, il ira embrasser ses enfants, parlera de sport avec les voisins et se conduira en tout comme un citoyen honorable et ordinaire et pourtant, il aura tué des gens dans la journée, des gens qu’il ne connaissait pas et qui personnellement ne lui avaient rien fait. Personne ne lui demandera des comptes, la justice vaquera à ses devoirs ordinaires qui consistent à traquer les voleurs et les assassins ordinaires, mieux, le militaire recevra de l’avancement et, en remercîment, l’État lui décernera médailles et pensions.
Grégoire Chamayou a dépeint l’atmosphère d’un QG actionnant des drones. Des gens s’affairent autour d’images floues, comparent des silhouettes de l’écran avec des photos agrandies et en couleur de gens à abattre. Puis ils discutent entre eux des ressemblances et estiment les chances d’élimination. Les plus dangereux « terroristes » ne sont pas nécessairement ciblés. Un violent plus que les autres dans une foule, le détenteur d’un bâton qui pourrait être une kalachnikov, ou celui qui se distingue d’une manière ou d’une autre par un comportement estimé anormal par des militaires, et le voilà mort.
C’est que le vol d’un drone coûte cher et qu’il faut que cela rapporte. Si un renseignement s’avère faux et que l’individu recherché est absent, le drone ne s’en retournera pas bredouille. Il aura tiré son projectile et l’état-major sera satisfait.

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C’est une bataille dans laquelle seule la partie adverse est exposée. C’est très curieux comme effet. C’est comme si l’adversaire était composé d’une colonie de souris de laboratoire et qu’un laborant déterminerait laquelle va servir à une expérience dont la mort au bout semble inévitable, parce que nécessaire pour obtenir un résultat.
Mirage des temps nouveaux, ces militaires tuent en toute impunité, ne s’exposent pas une seconde au tir de l’ennemi et paraissent complètement innocents des crimes journaliers qu’ils commettent.
Les drones nous précipitent dans un monde effrayant où l’argent devient le moteur essentiel de puissance, laissant de côté parmi toutes les horreurs de la guerre, les qualités de courage et d’abnégation du guerrier qui exposait sa vie jadis, pour une bonne ou mauvaise cause, en général il était l’exécutant et pas le décideur. Les souffrances et les dangers qu’il endurait lui faisait respecter « l’ennemi », même si de tout cela, il ressort des clichés comme l’amour de la patrie et le devoir dû à la nation.
Aujourd’hui, c’est l’argent qui choisit la bonne et la mauvaise cause. Ce sont ceux qui le manipulent qui nous manipulent par la même occasion. C’est le choix des plus riches qui décident de la démocratie et de la juste cause.
La boucle est bouclée. Il est désormais loisible à tout le monde d’émettre des doutes sérieux sur le devenir des hommes et surtout sur le sens des grands mots : démocratie, patrie, humanisme, quand ils sont les fils tenus par des mains anonymes, lesquelles nous agitent comme des marionnettes.

Commentaires

Un bel article,mais permettez-moi d'émettre une objection ,lorsque vous citez le guerrier qui exposait sa vie pour une bonne ou mauvaise cause. Il n'y a jamais de bonne cause pour faire la guerre.

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