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Storytelling.

Les maîtres de nos sociétés ont l’art de nous raconter des histoires. Et le plus extraordinaire, c’est que nous les croyons. Certes, pas formellement et parfois sans réfléchir, mais on dirait que l’histoire en étant lancée par des personnages connus et sur des supports comme radio et télévision ou éditée par des magazines fort répandus comme Le Soir magazine, augmente sa crédibilité.
Le récit exposé comme une épopée a émergé et s’est imposé instrument de pouvoir. Les intéressés eux-mêmes fournissent les éléments de leur légende. Quand Vrebos demande à Charles Michel si être le fils de… ne le poursuit pas dans sa « carrière » politique, il offre à l’intéressé un boulevard pour construire ce qu’il veut autour de sa légende.
C’est une nouveauté, le ministre des affaires étrangères n’accompagnait jamais le membre de la famille royale désigné pour être à la tête de la délégation belge en visite à l’étranger. Aujourd’hui, que ce soit dans le sillage de la princesse Astrid ou du prince Laurent, on y trouve régulièrement Didier Reynders, à croire qu’il s’est nommé lui-même ministre du commerce extérieur. C’est qu’il a compris qu’on ne peut pas ignorer sa présence lors des reportages effectués dans ces conditions, imprimés sur papier glacé, pour des magazines de luxe ou plus populaires sur bobine de rotative.
Le storytelling pratiqué en Belgique n’est pas un phénomène social. Les images d’un Reynders en pèlerinage au Taj Mahal ne sont pas bouleversantes en elles-mêmes. Certains se demandent ce qu’il va faire là avec son épouse et quels sont les bénéfices que la Belgique tirera de ce déplacement ? La Belgique serait-elle devenue une agence de voyage spécialisée dans les séjours gratuits de nos ministres et plus particulièrement de celui des affaires étrangères ?
Tout cela, avec les commentaires de la presse, n’est-ce pas un de ces grands complots dont nous avons l’habitude, le fait d’élites financières en Jet privé ou en Boeing officiel ? Ainsi le storytelling serait une arme de contrôle et de manipulation des consommateurs et des citoyens. Parce que sur le temps que le lecteur s’engouffre dans la lecture des premières pages des journaux ou s’assoupit devant la télé, anesthésié par une pâture abondante et invariable, il ne prend pas la mesure que le pays va mal et qu’on le promène dans un système économique qui est en train de faire faillite

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Le storytelling correspond à la fabrication des croyances destinées aux consommateurs en manque de repères. Il laisse à l’état de mort cérébrale, les syndicats et les travailleurs au spectacle du cul de Beyoncé, à côté de l’article sur le voyage en Corée du Sud de nos industriels chaperonnés par Astrid et l’ineffable. Les techniques managériales bousculent par les mêmes combinaisons les relations au travail en bouleversant le système de valeurs, dans le but de booster la productivité. Les cadres sont des gourous dans lesquels on doit croire pour le formatage des esprits. L’entreprise y est présentée comme une chance et un second chez soi.
Par rapport à la grande presse, les histoires d’entreprise, avec parfois un journal interne dans les grandes unités, jouent un rôle non pas identique, mais d’appoint.
Le but recherché est ni plus ni moins la fabrication de sens du système, dans le but de remplacer l’ancienne morale par la morale de l’argent.
Les premiers effets font état d’une répulsion progressive du chômeur, dont le sort malheureux ne convainc plus grand monde de la nécessité de le secourir d’une allocation décente. Le storytelling abuse du pouvoir des mots sur les émotions des travailleurs et des consommateurs pour les établir dans les circuits comme une marchandise et à ce seul titre.
Dans un univers qui se transforme et s’adapte au gré d’un capitalisme anémié en Europe, parce qu’il se vitalise ailleurs par transfusion, le storytelling nous inocule la résignation et la patience, créant l’irrationnel des groupes sociaux qui prennent fait et cause pour leurs exploitants.

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