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La Bruyère, de gauche ?

Les cuistres qui ont pour mission d’expliquer davantage le fond que la forme, font naturellement l’inverse quand il est redoutable d’aborder l’auteur par son « trognon » comme disait LF Céline. Jean de La Bruyère, né à Paris le 16 août 1645 et mort à Versailles le 11 mai 1696, est de ceux-là.
Ah ! le style de La Bruyère (1), tout en contraste et propice à la lecture à voix haute, que n’en a-t-on dit !
Je me suis longtemps demandé pourquoi les vieilles ganaches d’estrade se sont acharnées à nous faire détester La Bruyère. Longtemps à l’université, j’ai fait comme tout le monde, La Bruyère était ce vieux branleur courtisan qui troussait la phrase en moulinant de maigres jambes gainées de bas blancs, et gloussant au point virgule. On passait vite à Racine, animal plus classique qui aurait, dit-on, commis un meurtre dont on ne sait encore si c’était par amour ou par intérêt. Corneille en catastrophe et atterrissage sur La Fontaine et Molière.
Basta, fin du grand siècle et zéro de pertinence, en sautant Boileau, Pascal et sa brouette et quelques autres oiseaux mythiques du règne de Louis XIV, fin de règne magistralement accompagnés des mémoires de Saint-Simon.
On a oublié l’essentiel. La Bruyère est un moraliste et pas qu’un peu. Sous le style, son atticisme dirait-on aujourd’hui, se cache un homme à la vue perçante et qui, ma foi, ferait bien en arrière grand-père de Marx lui-même.
« Un homme du peuple – écrit-il – ne saurait faire aucun mal, un grand ne veut faire aucun bien, et est capable de grands maux. L’un ne se forme et ne s’exerce que dans les choses qui sont utiles ; l’autre y joint les pernicieuses. Là se montrent ingénument la grossièreté et la franchise ; ici se cache une sève maligne et corrompue sous l’écorce de la politesse. Le peuple n’a guère d’esprit, et les grands n’ont pont d’âme : celui-là a un bon fond, et n’a point de dehors ; ceux-ci n’ont que des dehors et qu’une simple superficie. Faut-il opter ? Je ne balance pas : je veux être peuple. »
Voyez comme deux siècles plus tard, avec l’instruction publique, ce qu’on aurait pu faire de la « grossièreté » et rendre au peuple la première place dans la société, si à la moitié du siècle suivant Adam Smith n’était venu de façon prémonitoire nous annoncer les libéraux et nos jeanfoutres du MR, esprits castrateurs et bouffons.

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La Bruyère avait déjà fustigé la vanité des messieurs à perruque et rubans. Il est le premier à définir ce qu’est aujourd’hui la division de la société en deux classes antagonistes que les rosés du PS nient toujours avec force, et pour cause, cela remettrait en question la société telle qu’ils l’imaginent. « Il n’y a au monde que deux manières de s’élever, ou par sa propre industrie, ou par l’imbécillité des autres ». N’est-ce pas par mon imbécillité reprise dans l’imbécillité des autres que ce système auquel je n’adhère pas me pompe l’air, depuis mon enfance ?
Hier, je commettais un petit couplet à la gloire de la poésie, tombée dans l’avaloir avec les eaux usées du diplôme « prêt à porter les fruits de la pensée unique » là où l’intérêt supérieur du pognon vous pousse. Que n’ai-je cité La Bruyère, lorsque dans « Les caractères » il s’aventure jusqu’à écrire « Il ne manque cependant à l’oisiveté du sage, qu’un meilleur nom ; et que méditer, parler, lire, et être tranquille, s’appelât travailler ».
Le manque de sens à donner à l’art d’aujourd’hui vient de ce qu’un artiste sur deux est eunuque. Celui qui n’en a plus, prend des allures de gazelle et réussit dans le showbiz, l’autre crève de faim.
Le peuple reste mal défini en 2018. Ses limites sont floues son rôle est diffus, même si nos libéraux clament partout qu’il est souverain, il n’en est rien. S’il l’était autant que le MR tente de nous le faire croire, il n’accepterait pas qu’on diminue les salaires et qu’on augmente ceux des riches.
Les quelques jacqueries du Grand Siècle furent réprimées dans le sang. Les contemporains n’en ont tiré aucune leçon, La Bruyère sent bien que la prise de conscience des masses, ce n’est pas pour demain. Au point qu’aujourd’hui encore, on ne les comprend pas mieux. « Quand le peuple est en mouvement, on ne comprend pas par où le calme peut y entrer ; et quand il est paisible, on ne comprend pas par où le calme peut en sortir. » Sans doute, sans connaître la solution, Jacques Maritain en 1945, soulignait le drame moderne « La tragédie des démocraties consiste dans le fait qu’elles n’ont pas encore réussi à réaliser la démocratie ».
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1. « Les caractères ou les mœurs de ce siècle » Paris, Laplace, Sanchez et Cie, éditeurs. Livre ancien, non daté.

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