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Le 23 juin de Molière.

Réinventer la vie, voir les choses de manière différente, se glisser dans la peau d’un autre tout en restant soi-même, soulever le monde puis danser dessus, écouter et faire de la musique, s’il y a bien un monde magique absolument nécessaire à nos sociétés, c’est bien celui du spectacle. Faute de spectacles, il dépérit.
Ceux qui font de la scène se plaignent rarement. Dans le métier on rit plus souvent que manger. Mais cela ne se sait pas. Tous les comédiens sont capables de jouer Monsieur de Pourceaugnac le ventre creux, faute d’argent. Les applaudissements les nourrissent.
Crier à l’injustice, revendiquer ne se fait pas au théâtre. L’opinion du comédien jetterait une ombre sur l’opinion du personnage qu’il interprète. On peut jouer du Berthold Brecht sans être communiste ou en l’étant, c’est sans importance, du moment qu’on est autre.
Toute intervention extérieure pourrait tuer la magie de la représentation.
S’il est apparu quelques faits-divers dans la presse à propos des intermittents du spectacle, c’est bien parce qu’une partie très active du spectacle était en danger de mort imminente. Ce n’était pas une revendication, c’était un SOS.
Covid a plongé au fond du trou ceux qui s’accrochaient déjà aux buissons de la pente. Après la déprogrammation de presque tous les spectacles en Belgique depuis trois mois, la fermeture de toutes les salles, des théâtres, des cinémas, impossible de nier l'ampleur de la catastrophe.
La mort sociale passe pour pas grand-chose à côté de la mort par le fléau, mais c’est pourtant une mort quand même, qui ne s’apercevra même pas. De tous ces minuscules théâtres, dont les planches auront cessé pour toujours de craquer sous les pieds des acteurs, le souffle des répliques ne s’entendront plus et les feux de la rampe s’éteindront. Ce sera une génération d’artistes qui s’en ira sans transmettre le flambeau.
À condition que l’on ne parle plus du virus ou si peu que le risque en vaille la chandelle, comment convaincre les spectateurs de revenir dès la rentrée d'automne ?
La cérémonie de la remise des Molières à Paris ce 23 juin a lieu dans de bien mauvaises conditions. Elle se fera quand même. On devine l’ambiance, alors que les salles sont toujours fermées !
Et pourtant cette cérémonie parisienne, bien loin des préoccupations des petites salles liégeoises, est nécessaire. C’est comme une affiche qu’on placarde malgré tout et qui dit à tout le monde « vous voyez nous sommes toujours là ! ». L’espoir que ce rayonnement des théâtres de la capitale française nous atteigne et rougeoie les salles désertées ne serait-ce que quelques secondes est ce qui nous reste.
Il ne faut pas se leurrer, ce secteur d'activité, pour certains subventionnés, était en réalité au bord du gouffre disent les esprits chagrins. Le théâtre étant une joie de vivre, heureusement qu’il ne compte pas beaucoup de pessimistes et le bonheur d’en être rallumera toujours la flamme, quoi qu’on dise. Mais le foyer est quasiment éteint, le théâtre cherche désespérément un bon génie pour souffler sur les braises. Les autorités politiques ont autre chose à faire. Elles en sont à trouver seulement les moyens de sauver l’immobilier, les conservatoires, les salles lyriques, ensuite les professions assurées des orchestres de prestige, des troupes officielles. Tous les autres, comédiens, musiciens, acrobates, sont des intermittents, entre chômage et CPAS.
La crise est arrivée au pire moment en début de saison des festivals pour les tournées, des musiciens des petites salles, aux vedettes qui tournent dans les grandes villes. Mars est en réalité le mois de signatures des contrats d’été.
Spa, Aix, Bourges, Hellfest, Solidays, les Francofolies, les Vieilles Charrues, les spectacles côtiers qui font vivre les artistes locaux… tous annulés ou repoussés !
Les théâtres qui espèrent reprendre en septembre sont dans l’incertitude. Les déplacements transnationaux sont incertains. Les musiciens qui ne résident pas en Belgique ont été déprogrammés. Ceux qui résistent et maintiennent des dates en septembre, sont sans illusion, la situation financière est tellement peu brillante, qu’il faut redouter que ces courageux ne rentrent pas dans leurs frais.

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Enfin, les petites écoles de musique et de comédie, les salles de quartier, les maisons de jeunes, souvent d’initiative personnelle, aussi fragiles que la santé de leurs initiateurs, sont dans l’attente d’une sorte de miracle, que tout redevienne comme avant, malgré les soucis d’argent déjà là avant Covid, d’horaires, d’engouement et de désenchantement, mais ce vœu est loin de son accomplissement.
Evidemment le caractère agressif de cette société de consommation fait fi de ce qui rehausse l’homme et va d’instinct à ce qui l’abaisse, on ne peut pas dire que le libéralisme ambiant favorise l’art. Il le déconstruit même sous prétexte de rationalité et dans sa haine du populaire, tue la liberté de création et la culture, comme l’ouvrier assujetti à sa chaîne de production.

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