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L’école : demandez l’programme…

Deux scandales en France et aux Etats-Unis illustrent cette chronique. Les permis de conduire délivrés sans examen à ceux qui ont les moyens de payer des examinateurs complaisants à Paris et l’entrée assurée dans une université de prestige, Yale en l’occurrence, moyennant une confortable mise de fonds des parents.
Michael Youg « The Rise of the Meritocracy » et Pierre Bourdieu, « La Distinction » théorie de la hiérarchisation de l’espace social, nous avaient prévenu, cette société « du mérite » est une imposture.
Elle offre une couverture sociale au système libéral que les événements du jour : crise économique profonde et crise de la propagation éclair du Covid-19, mettent à mal.
La société serait divisée entre 1 % de riches et 99 % d’impétrants à la richesse. Cette façon sommaire de voir les choses évacue les inégalités liées aux diplômes. Elle tient pour insignifiant le rôle joué par la bourgeoisie intellectuelle, qui n’adore rien tant que se représenter dans le camp des opprimés, en qualité de méritocrate. Elle transmet ainsi, mine de rien, ses privilèges à ses descendants, comme l’aristocratie d’autrefois.
S’il y a bien une chose que beuglent ensemble les partis de pouvoir, c’est bien l’égalité des chances ! À défaut de faire passer le capitalisme pour une philanthropie, nos glorieux des podiums s’en réfèrent à la méritocratie que le système permettrait. Magnette, Bouchez et De Wever en célèbrent encore les vertus.
Derrière l’enchantement de ces beaux merles, se cache l’illusion dangereuse d’une machine idéologique redoutable de justification de l’ordre social.
Vous n’avez pas de diplôme, il est donc logique que vous soyez pourvu d’un méchant emploi qui vous tiendra en vie, sans plus.
Les béatifiés de l’ordre social qui eux en sont pourvus, purs produits de la méritocratie républicaine, chanteront les louanges du système qui les a vus réussir. Ils seront donc gratifiés d’un surplus qui les distingue sans pour autant prétendre à intégrer jamais le 1 % de privilégiés. Mais, ce sera suffisant pour qu’ils en défendent la porte et entraînent derrière eux toute la population, à en faire autant.
Cela permet à ses élites de s’auto-gratifier du titre flatteur de « self-made man ». Ce n’est pas les quelques élus, dont l’origine sociale ne prédestinait pas à un meilleur destin, comme Di Rupo, qui feront nombre, mais la publicité des gazettes et leurs récits.

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Coïncidence de l’aptitude des cerveaux ou ascenseur familial, les familiers des hautes études ont un père qui appartient à la catégorie socioprofessionnelle des « cadres ou professions intellectuelles supérieures », à peine 1 % des élèves ont un père ouvrier. Peut-on, qualifier cela de société « méritocratique » ?
L’égalité de droit – dénoncée par Marx comme un paravent servant à masquer les inégalités réelles – ne suffit pas à assurer une compétition équitable entre les individus, comme nous l’enseignent les recherches sociologiques et le simple bon sens,.
L’école est le lieu par excellence où éclate l’hiatus entre égalité proclamée et inégalité de fait. Or, point n’est besoin de s’appeler Clarinval (encore que c’est un mauvais exemple puisque cet universitaire ne comprend rien à rien) qu’entre un enfant de père ouvrier et d’une mère femme à journée (je passe sur le ménage monoparental) et un enfant de professeurs d’université, les chances de réussite à l’école ne sont pas les mêmes, et ce à cause de facteurs étrangers à leurs volontés individuelles (manque de moyens en équipement et intérêt de la parentèle par la compréhension des sujets traités, ce que Bourdieu appelle le caractère culturel.
La réussite scolaire est avant tout tributaire d’un ensemble de conditions sociales favorables.
Il faut rester insensible aux discours de la bourgeoisie rassemblés au MR.
L’école transforme « ceux qui héritent » en « ceux qui méritent », écrivent encore Bourdieu et Passeron dans « La Reproduction ». Les plus doués recevront l’onction du diplôme consacrant leur « mérite », ceux qui échouent seront renvoyés à leur « médiocrité », sans qu’il soit prouvé que les premiers fussent plus « intelligents » que les seconds. De toute manière, la responsabilité de ces derniers sera imputée à leur échec.
Certains maîtres entretiennent avec l’institution scolaire le mythe d’une évaluation et d’une sélection juste des élèves, notés d’après leur seul mérite, alors même que les conditions d’apprentissage sont à l’évidence inéquitables et que tout ce travail de sélection des universités et autres enseignements moyens, c’est du bidon. Le mérite fortement apprécié l’est surtout dans la tranquillité sociale, condition indispensable à la quiétude de la bourgeoisie !

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