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De l’émotion.

On essaie souvent d’avoir l’électeur, le téléphage, le client par l’émotion. Le gouvernement, les médias, jusqu’au marchand décidé de vendre son stock de marchandise, tout ce qui commande, sollicite, vend, a tendance à se laisser aller à cette facilité.
La décapitation de Samuel Paty est un acte terroriste abominable qui a suscité une indignation et une émotion intense. Personne ne le conteste. Le consensus est unanime. La tentation est forte de jouer du violon sur cette corde sensible. Pour un peu un courant majoritaire pourrait se former spontanément qu’il serait aisé de pousser à des représailles aveugles sur les Tchétchènes et les musulmans sans distinction entre les salafistes et les simples croyants.
On s’arrête assez peu sur le rôle de l’émotion dans l’espace social. Les médias sont les maîtres du genre. Mesure-t-on que ce phénomène détruit la capacité de penser ?
Moi-même avant d’écrire ces lignes et de me livrer à la réflexion, je n’aurais pas donné cher de la vie de tout qui croit qu’Allah est grand et que Mahomet est son prophète, comme il n’y a guère, toutes les autres religions, ramassis de stupidités pour les faibles d’esprit, ceux qui ont besoin d’un grigri pour ne pas mourir de frousse devant la Covid-19.
A nom de ma laïcité, j’étais prêt à tout !
On peut s’abandonner à l’émotion dans une suite d’événements qui va du modeste fait divers, du genre « Aveugle, elle a retrouvé son chien qu’un voisin avait séquestré pendant un mois à cause des aboiements qui le dérangeaient », au massacre du Bataclan par des musulmans fanatiques. Parfois l’émotion humanise ; elle s’oppose au cynisme et fait aussi du bien.
Les médias ne sont pas seuls à jouer du violon. Les personnels politiques s’en sont fait une spécialité. Le dernier apport à cet exercice, se lit dans les journaux à propos de l’exhortation aux populations de Georges-Louis Bouchez, sur la « dramatique expansion à Liège et Bruxelles de l’épidémie ». Quand on lit bien les propos de l’Auguste, il nous prend tout bonnement pour des imbéciles, des mauvais élèves coupables d’avoir fait échouer les efforts du gouvernement pour nous sortir d’affaire, le cas échéant, si l’épidémie tournait à la catastrophe médicale.

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Les manipulateurs d’émotion ont le pied à fond sur l’accélérateur, lorsqu’il s’agit de dissimuler leur impuissance, comme si c’était une fatalité qu’ils ne voulaient pas, en prolongeant l’austérité par de nouvelles réformes. La classe dirigeante s’en sert pour dépolitiser les débats et maintenir les gens dans la position d’enfants dominés par l’affect.
Lors de la législature précédente, jusqu’au départ prématuré de la N-VA, Theo Francken nous a parfaitement éclairé sur sa méthode. Sa précaution compassionnelle a trouvé une sorte d’apogée dans l’explication alambiquée de l’impuissance européenne, avec son « c’est pas moi, c’est l’Europe », tout en maintenant dur comme fer les ordres de quitter le pays à des familles parfaitement intégrées et honorables.
Ce qui n’a pas empêché la classe politique de reproduire un mot, pendant de dévasté : « insoutenable » à propos de l’image du petit réfugié syrien Aylan Kurdi gisant sans vie sur une plage de Turquie, le 2 septembre 2015.
L’émotion supplante l’esprit critique. Elle devient l’expression sociale majeure dans le décryptage des événements. Les chefs d’entreprise et les salariés s’y appliquent aussi, à faire de leur émotion un outil de management ou de revendication salariale.
Grand moment d’émotion resté vivace dans les mémoires, la marche blanche à propos de Julie et Mélissa les victimes de l’infâme Dutroux, depuis copiée une multitude de fois. C’est un événement catalyseur. Aucun slogan ni revendication, la foule silencieuse s’ébranle, plaçant en tête des enfants, symboles de l’innocence. C’est l’empire de l’émotion, selon le philosophe Christophe Godin. « Cela aurait pu être moi » entend-on dans la foule, sinon mon « enfant et cela eût été bien pire ».
Fait assez récent, probablement datant du début de ce troisième millénaire, le déploiement théâtral de cellules d’aide psychologique. Chaque gouvernement à sa liste d’experts. Des gens prêts à parer à toute circonstance dans l’accompagnement des victimes. Comme si celles-ci étaient incapables de surmonter ce qui leur arrive avec leur moyen de résilience, renforcé souvent d’un entourage omniprésent.
L’émotion joue un sale tour à la démocratie. Voilà bien un terreau favorable aux embrigadements guerriers. Elle place le citoyen en position passive, comme en attente qu’une autre autorité que la sienne, prenne en charge ce qu’il ressent. La marche blanche relève des anciennes croyances, des processions. L’effet social est nul. A-t-on jamais vu une marche blanche après le suicide d’un chômeur ?

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