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Flânerie…

Ma richesse, c’était la flânerie. Dans ma ville, c’était bien mon droit, le seul peut-être en ces temps de grande pénurie affective.
J’observais amicalement les gens. Un solitaire ne parle à personne par définition. Mais entendre les autres se parler m’entrait dans leur compagnie par l’oreille. Ce n’était pas grand-chose, un bruit de fond surtout dans les rues piétonnes le samedi, aux heures d’affluence, ma manière de me trouver au milieu des gens, sans les gêner et sans qu’ils me gênent.
C’était avant mars 2020, une éternité.
Même ça, ils me l’ont enlevé.
« Ils » c’est le pouvoir d’une élite arrogante. Celle qui a fait entrer « la bête » dans les bagages Vuitton, les colis destinés à l’Europe, les containers de la politique néolibérale, par toutes les voies possibles, mais surtout aériennes. Ils comptent sur nous pour la vaincre. Peu importe la manière, mais ils sont là par les lois de la démocratie, mauvais gardiens d’une noble cause, entre couvre-feu et fermeture des coiffeurs.
La flânerie sans but, c’est l’incertitude, le hasard parfois d’une rencontre. Parler à quelqu’un qui a bien le temps et qui cherche peut-être la même chose que moi : entendre une autre voix que la mienne. Jadis, c’était un plus, sans l’avoir vraiment cherché, aujourd’hui c’est un rêve inaccessible tout modeste soit-il !
La société contemporaine n’aime que l’acheteur chez le flâneur. Ce n’était pas évidemment mon but. Je faisais partie d’une catégorie de flâneurs modernes qui résistent à la domination des achats compulsifs. Attirés par des grands magasins, je pouvais les traverser, m’arrêter devant quelques rayons, m’intéresser à des étalages et en sortir, sans aucun achat.
Combien je regrette les promenades sans but !
Certains jours, j’étais moins empathique. Je me suis même surpris à préjuger du vide qui devait être le lot du plus grand nombre, une sorte de mort avant la lettre. Comme si j’en savais ! De ces jours là, je retire l’animosité qui était la mienne. En comparaison avec le confinement et la mort sociale d’aujourd’hui, j’aurais dû avoir honte. Mon excuse, je ne connaissais pas l’avenir qui nous attendait.
Cette idée du monde économique libéral, du grand village, est extrêmement dangereuse, la pire de toutes. Les pauvres n’en profitent guère, rivés au sol qui les a vus naître et les verra mourir ou passagers précaires sur des canots à risquer le tout pour le tout. Les riches, par contre, se trouvent à l’aise n’importe où, même dans les bas-fonds dont ils photographient le pittoresque. La misère a un côté esthétique à la lentille d’un Nikon. Ils n’étaient pas à eux seuls une calamité suffisante, ils ont emporté aussi la Covid-19 dans leurs bagages. La seule chose qu’ils partagent. Ces élites ont donné la mort, avant de nous enjoindre de la combatte !

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Les promenades sont finies. Entre résignation et désespoir les vieux restent chez eux en attendant un problématique vaccin. Viendra-t-il à temps ? C’est leur angoisse. Les autres font ce qu’on leur dit de faire : travailler rentrer chez soi et prendre les mêmes risques le lendemain, au nom de la réalité économique du grand village mondial. Les enfants vont à l’école, du moins dans celles qui ne ferment pas, insouciants encore, enfin ceux dont les parents ne sont pas aux abois guettés par les happe-chair de la finance. Ils sentent le désastre familial et en devinent les causes, plus observateurs que les parents le pensent. Ce sont les victimes collatérales de l’économie libérale, de notre légèreté et de nos désastres intimes. Je me demande même si dans ses discours, Georges-Louis Bouchez n’est pas en train de trahir aussi les enfants ?
Les derniers irréductibles flâneurs sont les héros des bandes dessinées de demain. Ils côtoient l’homo oeconomicus qui court au bureau et à l’atelier, attraper de quoi avancer son heure dernière.
Les actes de l’interaction avec le monde extérieur, monde de la connaissance, de la créativité avec les personnes et les lieux, ne peuvent plus se réaliser. Pourront-ils se recréer après, quand le système libéral qui a permis la pandémie, aura trouvé le moyen de nous en débarrasser ? L’Histoire nous apprend que les sociétés qui trébuchent ne se relèvent jamais de la même manière, quand elles se relèvent !
Nous sommes dans un monde global. Les sociétés n’existent plus. Le village est universel et il est capitaliste, c’est-à-dire qu’il doit pousser la machines jusqu’au bout, sans trêve, ni repos, jusqu’à la destruction totale et l’extinction de l’espèce.
Alors, vous pensez, la marche à pied et les rêves du promeneur…

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