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Nadja.

Nadja d’André Breton. Fantastique et imaginée, cependant réelle, elle mourra de faim dans un hôpital psychiatrique lors de la dernière guerre.
Pourquoi Nadja ? Parce que pour les surréalistes tout passe par l’amour, y compris les choses les plus matérielles et à cent lieues de pouvoir être aimées.
Nadja les yeux au ciel dit dans un soupir « Il y a pourtant de braves gens ! ». C’est la réplique de Breton qui devrait intéresser tous ceux qui, de ma sorte, ont dû offrir quelque chose en contrepartie aux autres pour avoir le droit de manger.
« Ces gens ne sauraient être intéressants dans la mesure où ils supportent le travail, avec ou non toutes les autres misères. Comment cela les élèverait-il si la révolte n’est pas en eux la plus forte ?... Je hais, moi, cet asservissement qu’on veut me faire valoir. Je plains l’homme d’y être condamné, de ne pouvoir en général s’y soustraire. »
Tout est dit.
Ce n’est pas le travail qui est détestable, c’est la contrainte et la régularité de la contrainte qui le font devenir détestable.
Il y a dans l’affirmation souvent entendue que le travail est bon pour l’homme, par ceux qui ont renoncé à tout pour y consacrer leur vie, quelque chose d’ignoble et de répugnant. Le travail les a façonnés de manière à les rendre esclaves et fanatiques de leur aliénation, de telle sorte qu’ils sont devenus les porte-parole de leur maître ! Le complexe de Stockholm entre un homme et sa contrainte : le travail…
Toute notre société repose sur ce paradoxe : ce sont les entrepreneurs (dans le sens large) qui posent les conditions de travail à une majorité qui l’accepte en baissant la tête sur ce qu’on lui donne à faire sans barguigner ! Que cette chose inouïe se passe dans une démocratie qui, en principe, dit la loi du plus grand nombre, en dit long sur l’effet du mensonge au quotidien.
« Je sais qu’à un fou d’usine, ou devant une de ces machines inexorables qui imposent tout le jour, à quelques secondes d’intervalle, la répétition du même geste, ou partout ailleurs sous les ordres les moins acceptables, ou en cellule, ou devant un peloton d’exécution, on peut encore se sentir libre mai ce n’est pas le martyr qu’on subit qui crée cette liberté. Elle est, je le veux bien, un désenchaînement perpétuel : encore pour que ce désenchaînement soit possible, constamment possible, faut-il que les chaînes ne nous écrasent pas, comme elles font de beaucoup de ceux dont vous parlez. ».

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Ainsi allait l’amour quand Breton enlaçait Nadja. Il n’y a de complicité possible entre deux êtres que sociale. On peut comprendre que des gens riches aient des dialogues opposés à celui-ci. Et qu’entre les gens riches et le couple Nadja Breton, d’autres couples moyennant riches rêvent de leur garage à deux voitures et deux entrées, avec un vaste dallage pour y manœuvrer à l’aise devant. Lorsqu’ils font l’amour en silence, retranchés dans leurs rêves communs, ils sont, eux aussi, en complicité, sauf qu’elle n’est pas sociale.
« De braves gens, disiez-vous, oui, braves comme ceux qui se sont fait tuer à la guerre, n’est-ce pas ? Tranchons-en, des héros : beaucoup de malheureux et quelques pauvres imbéciles. Où vont-ils, voilà la véritable question. Ils finiront bien par dessiner une route et sur cette route, qui sait si n’apparaîtra pas le moyen de désenchaîner ou d’aider à se désenchaîner ceux qui n’ont pu suivre ?... »
En ces temps ravagés par les forces supérieures de la nature, du Covid « héros quantique » intégré à la mécanique universelle, l’homme n’a plus besoin d’être manipulé pour être asservi. Il entre et sort de sa niche pour travailler ou chercher du travail, sans qu’on le lui demande. Il s’y sent « obligé » alors qu’il n’y est que contraint et qu’il pourrait, au moins, réfléchir à cette contrainte. On qualifie ceux qui traînent les pieds devant le spectacle d’eux-mêmes à ce ballet quotidien, de fainéants, de ratés, dépourvus de sens moral, tous défauts incompatibles avec l’obligation du « pass » pour être accepté de la fourmilière.
Comme écrivit Breton sous l’emprise de Nadja, simple danseuse de tripot et accessoirement prostituée « Rien ne sert d’être vivant, le temps qu’on travaille ».
Tant il est vrai que l’événement que chacun est en droit de rechercher et qui va bouleverser sa vie, n’est pas dans le travail. Ce faisant, on se pose en adversaire résolu d’une société libérale qui nous entraîne dans sa perte. Demain, elle sera la nôtre. Notre lâcheté nous y conduit !

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