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Alain Mathot : Rastignac ou Rubempré ?

Un rappel des faits. Ce vendredi, la cour d’appel de Liège a condamné Alain Mathot à 12 mois de prison avec sursis, de 5 500 euros d'amende ferme ou 2 mois de prison, une confiscation de 700 000 euros ferme, une peine de 5 ans d’inéligibilité, pour avoir favorisé la société Inova France lors de l’attribution du marché pour la construction de l’incinérateur Uvelia à l’usine Intradel de Herstal. La cour a également prononcé une peine d'amende de 2 750 euros ferme ou 1 mois pour des travaux réalisés en noir dans sa maison.
Le parquet général avait requis un minimum deux ans de prison avec sursis, une peine de huit ans d’inéligibilité, une amende de 500 euros, cinq ans d’interdiction de commercialité en personne physique et le remboursement des sommes qu’il a perçues lors de ses nombreux voyages à Paris. La cour a démontré qu’Alain Mathot avait perçu 700 000 euros et a fait verser 1 000 000 d’euros à un ami de sa famille. La cour a estimé qu'il avait touché ces sommes sans avoir réellement usé de son influence dans le cadre de l'attribution du marché.
C’est probablement un des derniers parrains des Anciens de l’après Cools qui tombe à Liège, en laissant la section locale de Seraing du PS dans l’embarras, face à un PTB à qui tout réussi, dans un silence gêné de ses anciens amis, dont le bourgmestre de Liège, Demeyer.
Moins habile que son père à frôler les barrières entre délinquance et irréprochabilité, c’est bien le premier caïd qui tombe sur une justice moins accommodante, décidée à effectuer son travail coûte que coûte.
Quelques babioles peaufinent parfois des procès, comme si pour mettre une cerise sur le gâteau, quelques petites friponneries supplémentaires étaient un ragout.
Il devait également répondre de faux en écriture, blanchiment d'argent, escroquerie, infractions aux enchères publiques mais aussi pour avoir fait réaliser des travaux en noir dans son immeuble .
À la formule « N’avouez jamais » de Jean-Charles-Alphonse Avinain, criminel exécuté au XIXme siècle, Alain Mathot a préféré le plus classique « je suis innocent ». La cour a estimé au contraire que le prévenu avait bien touché des sommes dans le but de favoriser la société Inova France et que les aveux de Philippe Leroy d’Inova pouvaient être utilisés en justice.
Le comble, la société Inova a arrosé quelqu’un qui n’exerçait aucune influence sur le marché convoité par la société française. Mathot n’a évidemment pas décliné l’offre de service pour cause d’incompétence. Au contraire, il a sauté sur l’occasion en multipliant les voyages à Paris et fait croire aux Français, que c’était quasiment lui qui avait la haute-main sur l’ouvrage. En somme, il a empoché des pots de vin qui ne lui revenaient pas ! Ce qui a dû mettre en fureur, les « intéressés » de la place Sainte-Véronique.
Là il a rejoint Rastignac, héros de Balzac, pour jouer finement un personnage et tromper les arroseurs.
Dans leur arrêt, les magistrates ont souligné que le juge d'instruction n'avait pas fait preuve de partialité et n'avait pas excédé sa saisine. (On voudrait quand même bien connaître le nom de ce magistrat.) "Alain Mathot a bénéficié d'un procès équitable", relève l'arrêt. La cour a également rejeté la prescription.

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La cour a rappelé les accusations constantes de Philippe Leroy qui déclare avoir versé au moins 700 000 euros à Alain Mathot, mais aussi 1 000 000 à un ami de la famille Mathot. "Tout ceci coïncide avec les accusations anonymes qui n'ont pas été inventées. Ces accusations sont corroborées par l'enquête et des éléments concrets." La cour a relevé tous les éléments incriminants. " Alain Mathot s'est rendu à de multiples reprises à Paris pour de courts séjours au moment de la période relevée par Philippe Leroy comme en attestent ses paiements sur place."
Autre détail, ce besoin de carotter l’État, comme José Happart, ce vieux renard sauvé par le gong de la prescription. Pas celle de Mathot, hélas pour lui, puisque la cour a confirmé qu’il a fait réaliser des travaux en noir dans son immeuble, alors qu’il était membre d’une commission sur la fraude fiscale. La cour a rejeté le dépassement du délai raisonnable mais a tenu compte de l'ancienneté des faits dans le taux de la peine appliquée.
Alors, Alain Mathot Rastignac ou Rubempré ?
Ces deux personnages ont traversé l’œuvre de Balzac. Après la mort du père Goriot, Rastignac (1) voit désormais le monde tel qu’il est, tissé de crimes impunis, indifférent au travail et à l’honnêteté, impitoyable pour tous ceux qui refusent à se soumettre à sa loi, celle de la jungle.
Rubempré (2) devient l’amant d’un bas-bleu, madame de Bargeton qui l’entraîne à Paris. Affligé d’une sorte de coquetterie féminine, avide de flatteries et d’adulations, il ne résistera pas longtemps aux tentations de la vie littéraire et journalistique de la capitale. Il se trouve à court d’argent. Il use d’expédients. Il n’aura jamais le cynisme entreprenant et obstiné d’un Rastignac. Il fera pire, mais par apathie. L’un et l’autre auront, au début de leur carrière, à opter entre la voie honnête et difficile du travail et de l’étude et la voie facile, mais hérissée de menaces lointaines, de compromis mondains. Rubempré finira par trahir odieusement ses amis. La rencontre de Vautrin (3) achèvera sa perte.
A vous de choisir, amis lecteurs. Auquel, des personnages de Balzac, Alain Mathot ressemble-t-il le plus ?
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1.Le Père Goriot, Les illusions perdues, Études de femmes, La Peau de chagrin, La Maison Nucingen.
2. Les Illusions perdues, Splendeurs et misères des courtisanes.
3. Le Père Goriot, Les illusions perdues, Splendeurs et misères des courtisanes.

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