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Une Amérique en déclin ?

Le conflit russo-ukrainien a fait se ressouvenir d’une loi américaine stipulant que toute entreprise étrangère ayant une filiale sur le sol américain, faisant ses transactions en dollars, devait se plier aux interdits de Washington, sur la Syrie et l’Iran notamment.
Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine, l’UE et les États-Unis ont pris diverses mesures visant à isoler Moscou sur la scène internationale. Ce qui a marché pour la Syrie et l’Iran semble ne plus fonctionner avec l’Ukraine.
De nombreux pays, à l’exemple de la Chine, ont refusé de prendre part à cette stratégie. À la surprise générale, on retrouve parmi ces récalcitrants deux alliés traditionnels de Washington dans le Golfe persique : l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Riyad et Abou Dabi se montrent très réticents à suivre les Américains. La situation illustre leur convergence d’intérêts avec la Russie et leur volonté de diversifier leurs partenariats afin de renforcer leur autonomie stratégique. C’est ainsi qu’ils ont tenu à calibrer leurs déclarations de façon à éviter de condamner nommément la Russie, sur la proposition à l’ONU des Américains.
Mohammed ben Salmane et Mohammed ben Zayed al Nahyane, ont décliné une proposition de s’entretenir avec Joe Biden au sujet d’une augmentation de la production de pétrole pour compenser les hausses de prix mondiales du brut qui profitent à Moscou.
Le ministre émirati des Affaires étrangères a déclaré le 17 mars dernier, lors de son passage à Moscou, que les Émirats souhaitaient coopérer avec la Russie pour améliorer la sécurité énergétique mondiale. Quant à l’Arabie saoudite, elle entend préserver sa relation avec Moscou et Pékin, et aurait déjà entamé des pourparlers avec la Chine pour abandonner le dollar américain au profit du yuan dans les transactions pétrolières, ce qui irait dans le sens de la dédollarisation souhaitée par le Kremlin.
Pour la presse américaine, ce sont là des indicateurs de l’érosion accélérée du leadership des États-Unis. Son constat est implacable « La Pax Americana des trois dernières décennies est terminée. Vous pouvez en voir les signes partout. Considérez le fait que les dirigeants des Émirats arabes unis et de l’Arabie saoudite – deux pays qui dépendent de Washington pour leur sécurité depuis des décennies – ont refusé de prendre les appels téléphoniques du président américain ! » (Slate magazine)
Dans la perspective d’un déclin de la puissance américaine, les État en-dehors de l’OTAN n’ont ni intérêt, ni désir, de durcir leurs positions à l’égard de la Russie. La recherche d’une autonomie stratégique est stimulée par la prise en compte de la transformation des rapports de force globaux.
En décembre dernier, les Émirats ont fini par suspendre les pourparlers avec Washington portant sur l’achat de F35 et signer un contrat avec Paris pour l’acquisition de 80 Rafale.
L’Europe a-t-elle pris conscience de la faiblesse actuelle des États-Unis à travers les déclarations de Biden donnant le feu vert à Poutine pour envahir l’Ukraine ? Toujours est-il qu’un pareil allié pose évidemment un problème. Washington parallèlement à la situation européenne est aussi en délicatesse avec ses alliés du Golfe. La protection américaine, pierre angulaire de l’alliance, a été mise à mal. Les attaques répétées des Houthis sur le territoire saoudien et plus récemment contre les Émirats arabes unis et la faible réaction de Washington ont conforté ces États dans la conviction qu’ils ne peuvent plus compter sur leur allié pour garantir leur sécurité.
On est loin dans la diplomatie et les rapports entre État des horreurs perpétrés par l’armée de Poutine et l’opinion européenne, quasiment mondiale, en faveur d’une resserrement des mesures jusqu’à présent prises contre ce criminel de guerre.
Ce qui a été le premier signal du laisser-aller américain fut le retrait chaotique d’Afghanistan et la volonté annoncée de Washington de réduire ses engagements militaires au Moyen-Orient. Depuis les pays du golfe restent sur le mauvais souvenir de la « fuite » de Kaboul. Prudents, ils ont maintenu les rapports avec la Russie en dépit de la crise majeure qui oppose aujourd’hui celle-ci aux pays occidentaux.

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N'est-on pas à la fin du soft power de Washington ? S’est-on résigné, partout ailleurs qu’en Europe, que demain la première puissance mondiale sera la Chine ? L’hégémonie américaine s’appuyait à la fois sur la contrainte liée à la puissance du dollar et sur une capacité d’attraction qui a permis la construction d’alliances et de larges coalitions.
Ce changement apparaît comme un indicateur clair de l’évolution vers l’« ordre mondial alternatif » qui concluait que la République populaire de Chine allait tirer profit de la guerre en Ukraine pour précipiter le déclin irrémédiable de l’Amérique…
L’Europe sur la question de son attachement au destin de l’Amérique est divisée. Les Pays de l’Est n’estiment pas les USA finis, mais momentanément défaillants, partagés entre la crise qui menace Formose et celle qui embrase actuellement l’Europe. Les autres, les pays du Centre au bassin méditerranéen penchent pour une Europe autonome, se dotant des moyens de se défendre, avant de sortir de l’OTAN.
L’Europe traîne comme un boulet son organisation interne qui exige l’unanimité dans des cas comme celui-ci. L’américanisation de l’Europe est-elle irréversible et dans ce cas mourrons-nous avant elle, puisque l’Histoire nous apprend combien d’États par le passé ont payé chèrement une soumission aveugle aux États-Unis ?

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