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La Haute !...

Tout le monde a pu observer avec Michel Pinçon (1), que la haute bourgeoisie pratique l’entre-soi dans des endroits déterminés par la protections des abords et, éventuellement, le prix élevé des services. Les discours sur la mixité sont évidemment des écrans de fumée derrière lesquelles la bourgeoisie se cache. Ils sont destinés à nous faire supporter notre nouvelle mixité dans les quartiers à traîne-savates, par l’utilisation de ce mot symbole.
Ailleurs, les publics se mélangent peu. En effet, les activités pratiquées permettent de maintenir un « entre-soi » confortable : on fréquente des espaces dans lesquels on réalise des activités qui sont pratiquées par des personnes du même niveau social.
Avec les rallyes, Michel Pinçon note pour la France quelques localités et quelques cafés spécialisés dans l’accueil et l’événement bourgeois. La Messe de la Saint-Hubert à l’abbatiale de Saint-Jean-aux-Bois (Oise), où l’on fait bénir la meute de chiens avant une chasse à courre, la Commune « Les Portes-en-Ré », à la pointe extrême de l’île de Ré, devenue un des lieux de ralliement des familles de la bourgeoisie, les salons parisiens, les villas des bords de mer, les chalets de montagne, forment un vaste espace quasi public pour la bonne société, qui y goûte le même plaisir qu’elle a à se retrouver dans des cercles parisiens, l’Automobile Club de France, place de la Concorde, ou le Cercle de l’Union interalliée, rue du Faubourg-Saint-Honoré.. Chacun se salue, tout le monde bavarde. Une société enjouée, ravie d’être rassemblée et de pouvoir être elle-même à l’abri des importuns, voilà la « contre-image » de cette classe sociale, loin de l’image du patron surmené travaillant quatorze heures par jour que Georges-Louis Bouchez évoque de son perchoir du MR.

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Du point de vue bourgeois : travailler moins pour gagner plus, la Belgique n’a rien à envier à la France, de ses endroits chics où les carrières de domestique ne s’envisagent encore qu’avec gants blancs !
Knokke-le-Zoute, Lasne, l’espace routier privé de Cointe à Liège, le golf du Sart-Tilman, une partie du quartier Flagey derrière l’étang, avenue Louise ou place Van Meenen, Haut de Saint-Gilles à Bruxelles dont le mètre carré se négocie autour des 4.000 euros, vous ne risquez pas d’y croiser « de la mixité » autre que celle levée tôt matin et passant furtivement ramasser les poubelles. Quelques cafés à Bruxelles, « ouverts à tous » (manière de plaisanter) font office du café de Flore. Ils ont noms Flamingo, Potemkine, Bar du Matin, Walvis, Barbeton, Mappa Mundo, Zebra bar, Roi des Belges, etc.
Pas de machines à sous, d’écran géant télé pour la retransmission des matches de foot, le service est tout en feutré et discrétion. Les garçons ne s’appellent pas par leur prénom, mais ont un sixième sens pour apparaître, quand le client lève un bras d’une certaine façon.
Consciente de ses intérêts, la haute bourgeoisie se distingue par la sophistication de ses modes d’organisation... Sous un collectivisme pratique se dissimule, derrière un discours faisant passer pour du talent individuel des positions transmises de génération en génération, une sorte de contentement qui ressemble à celui du python qui digère au soleil depuis huit jours.
Le monde politique libéral par les hauts revenus que notre bêtise et leur culot lui attribuent s’y frottent depuis longtemps. Il aide à transformer l’image horrible de l’exploiteur de jadis en créateurs de richesse, des discours appris qui transpirent l’argent.
On pourrait croire la bourgeoisie collectiviste tant elle est, en apparence, solidaire. Mais ce collectivisme n’est que pratique. Il prend la forme d’échanges, de dons et de contre-dons, avec les autres patrons et tous ceux qui occupent des positions de pouvoir dans les domaines financier, politique ou médiatique.
Les détenteurs des moyens de production vivent et agissent à l’aise au cœur des rapports sociaux : les patrons n’ont pas à théoriser leur position dominante, dont d’ailleurs, le plus souvent, ils ont hérité.
Le rapport social qui fonde sa classe, l’exploitation du travail d’autrui, en fait d’abord une « classe en soi » : ses conditions objectives de vie contrastent par leurs richesses avec celles des classes moyennes et des classes populaires. De surcroît, c’est une classe consciente de ses intérêts et mobilisée pour les défendre, notamment par l’intermédiaire de syndicats patronaux. On parle alors de « classe pour soi ».
L’entre-soi grand-bourgeois permet l’offensive idéologique actuelle, avec ses victoires dans les pays de l’Est et en Italie. Comme par magie rhétorique, la lutte des classes est inversée : on transforme les « exploiteurs » d’hier en « créateurs de richesses » et les « exploités » en « coûts ». De leur côté, les patrons s’abritent derrière le paravent idéologique de la concurrence libre et non faussée – que les meilleurs gagnent ! –, une vulgate de l’économie libérale qui permet de légitimer une position sociale souvent héritée et collectivement protégée.
Les armes utilisées sont des mots comme « compétitivité », « déficit public », « trou de la Sécurité sociale », « chômage ». Vous connaissez ? Ce sont des mots que nos ministres utilisent sur tous les canaux d’information. Ils s’inscrivent dans une guerre des classes que les plus riches mènent à l’échelle de la planète. « Il y a bien une guerre des classes reconnaissait le milliardaire américain Warren Buffett en 2005, mais c’est ma classe qui est en train de la gagner. »
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1. Michel Pinçon (1942-2022) sociologue, directeur de recherche au CNRS, nous a laissé une œuvre exemplaire sur la bourgeoisie et le pouvoir de l’argent. Comme pour la génération Bourdieu, les observateurs de la société d’aujourd’hui ne pourront pas écrire des articles sans s’y référer.

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