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TENIR

Vite dit ! Ce n’est pas le moment de flancher. Loin des cabinets ministériels, dans des apparts entre 19° et 20°, aux précarités telles qu’on est sans défense quand un loustic, bureau à 25°, dit qu’après trois ans de mouscailles un chômeur devrait perdre le droit aux allocations. On a envie de lui botter les fesses.
Le super-planqué a raison à sa manière. Les chômeurs sont des bombes à retardement. En leur retirant le pain de la bouche, on les affaiblit, on les désamorce. Ils viennent vous manger dans la main ricane le Haut-Lieu !
Joindre les deux bouts avec moins de mille euros par mois à Bruxelles, ce n’est pas que cela soit possible ou non. Dépassé par les événements, aux pieds des monstres en bureaux et couloirs des commissions européennes, chauffage à 25° et col roulé à la sortie pour l’exemple, oui, des gens vivent avec moins de mille euros pas mois. Ils doivent leur survie aux poubelles nourricières, à des repas aux choux, rapides et gratuits, sous des bâches ou des salles de fête rescapées de la Belgique Joyeuse de 54. Des matrones, reluisantes de bonne action, versent dans d’épaisses terres cuites, des louches fumantes d’une soupe nourricière.
La débrouille nécessaire pour prolonger la vie aiguise l’instinct du chasseur efflanqué. Il rode dans les rues, l’œil aux aguets. Il est dans la peau du renard qui n’a plus mangé depuis trois jours. Il y a toujours un coup à faire pour se remplir le ventre. Il faut savoir prendre sa chance. Lui aussi est désamorcé, dans l’incapacité de penser à autre chose qu’à son estomac.
Courir les rues, une pancarte à la main « On a faim », ce n’est plus pour lui. Encore faudrait-il pouvoir courir. Renseignements pris, des 21° s’activent. Pas les 25° trop éloignés des cuisines dans lesquelles, des besogneux, choisis du troupeau du FOREM, se dépensent,. La solidarité vient toujours du maillon à côté. Le bout de la chaîne est trop loin, hors de portée de tous sentiments.

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Les tables ouvertes des restos d’où sortent l’odeur des caricoles et le bruit des vaisselles et des verres entrechoqués, ça existe encore. Depuis les froids, les portes sont closes et les bruits étouffés. Il faut guetter une sortie, se faufiler attraper un beau reste et se sauver un restant de sauce sur le pantalon.
Ces coureurs des bois dans une ville sont pourtant moins nombreux que les résignés, les pauvres honteux qui rabâchent en secret leur détresse. Pour eux, c’est une question d’honneur. On ne montre pas qu’on est dans le besoin. C’est une affaire personnelle qui ne regarde même pas les riches de la Ville Haute, le 16, rue de la Loi, le Palais du roi, les musées tous ces bâtiments anciens et pour certains magnifiques, l’énorme dôme du palais de justice au loin de la chaussée descendante, juste au-dessus des Marolles, cet espace de prestige de la Belgique qui n’a pas faim.
Non, le pauvre qui cache sa détresse pour garder son honneur n’a rien à attendre de « ces gens-là". Il n’est pas comme Brel qui les épingla un jour dans une chanson. Depuis qu’il se méprise, ce pauvre-là n’a plus un regard méprisant pour personne, même pas pour les riches, pourtant des ennemis de classe qui l’affament.
La dignité dans la pauvreté est une sauvegarde pour rester soi-même, en même temps qu’un étouffoir des colères et des doutes.
Enfin, il y a ceux qui n’ont pas attendu les grands froids pour mourir dans leur mansarde du mal mystérieux qui touche à la fois les bronches et le plus du tout envie de vivre.
Combien sont-ils ? On ne le saura jamais. Dans cette Belgique des statistiques, c’est une projection qu’on ne fait pas. La pauvreté n’intéresse que ceux qui en sont accablés, sauf quelques laïcs, curés dans l’âme, effrayés de leur impuissance et souvent moqués par les gens d’au-dessus. La société d’étalage, celle qui compte et qu’on montre partout, prend bien soin de ne se moquer des pauvres qu’en privé. Par contre les bénévoles du secours ultime en prennent pour leur sacerdoce. « De quoi je me mêle, donner sous les fenêtres de la Commission l’image d’une Bruxelles du moyen-âge ! », de quoi avons-nous l’air rotent, entre deux lampées de Grand-Marnier, les douairières de l’après-bridge l’œil dans la rue où se dégrade le rez-de-chaussée du bel immeuble par la faute d’un architecte 1900, qui ne pouvait pas savoir l’usage que des pauvres feraient de l’encorbellement du balcon à l’étage, un toit de pierre momentané, quand, entre deux rondes des flics, on s’abrite de la pluie.
On se bouscule en ce mois de décembre à la veille des fêtes sur une étroite bande de Belgique entre misère et médiocrité. Le plus clair des Belges y piétine face à l’horreur du précipice. On se retient à tout ce qu’on peut. On fait des vœux pour ne pas tomber dans le trou. Certains sont prêts à y pousser le ménage voisin à leur place, tout à fait par le réflexe des gens du dessus !
Demain à ces Belges, entre la vie heureuse et l’incertitude des jours, Alexander De Croo dira des mots convenus de bonne santé et de prospérité, sans un mot sur les pensions et les indemnités de remplacement. Fin d’année, le roi reprendra le discours qu’on lui a écrit au début de son règne. Le Palais paie un secrétaire rien que pour changer les dates.
Et puis… basta…

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