Valentin, tu nous emmerdes !
Sont-ce les timidités secrètes ou cette modernité qui veut que lon sillonne les pays en restant chez soi ? Lavenir du courriel et du « chat » paraît assuré.
Le voyage autour de ma chambre passe avant le voyage autour de la tienne, sil doit avoir lieu jamais…
Que voilà renouée avec la correspondance électronique une ancienne tradition française.
Garder lanonymat pour les entortillés de laiguillette est une bonne chose, si on a la terreur du dévoilement qui pourrait être une suite logique. La curiosité est souvent fatale à lébauche érotico-sentimentale dune relation par courriel. On veut voir, et lon est forcément déçu, tant le mystère confère à la chose une once de plus value.
A loccasion de la Saint-Valentin, ça grésille terrible dans les boîtiers de réception. Jai envie de poser ma candidature auprès dune charmante qui écrirait comme Nathalie Sarraute, aurait la vertu de Johanne Molbech et la science amoureuse de la June dHenry Miller…
Elle existe sans doute quelque part sans savoir elle-même quelle est le parangon précieux que je désire.
Comment la trouver ?
Je lance un appel. Pourquoi un roi naurait-il pas sa péronnelle, comme Windsor, les commères…
Partager un trône, même en carton, une cour, même des Miracles, une couche, même du côté de la ruelle, ne signifie pas pour autant que le monarque soit sans manière et dépourvu de grâce…
La difficulté réside dans la description de soi-même. Comment se définir ? Je ny suis jamais arrivé. Charmant pour les unes, exécrable pour les autres, je dois être un compromis douteux entre le pire et le meilleur, forcément moins contrefait que ne le fit paraître William Shakespeare dans son injure à mon fantôme.
Sans connaître de la correspondante que ce quelle en écrit relève dun imaginaire des plus actifs… Voilà déjà qui raréfie la candidature éclectique à une époque du conformisme sans imagination.
Lavantage cest de se lâcher complètement, de débrider sa nature en quelque sorte, dans un exercice anonyme. Comme lorsquune voix inconnue vous appelle au téléphone, reconnaît quil y a méprise et veux raccrocher. A celle-là, il mest arrivé souvent de vouloir lui dire : « Madame, nous ne nous connaissons pas. Voulez-vous quen toute sincérité, je vous raconte ma vie ? Et si le cœur vous en dit, vous me raconterez la vôtre. »
Puis, nous raccrocherons et nous nous éloignerons lun de lautre comme si nous ne nous étions jamais rencontrés.
Même le courriel natteindra pas à cette perfection dans lanonymat.
Le terre à terre de certaines rencontres sur le « chat » na dégal quun choix de viande aux halles.
Ce nest pas lenvie de connaître, cest lenvie de baiser. Cela naurait rien de répréhensible, si les questions posées nétaient en réalité quun sordide inventaire où lesprit abandonne tout aux sens. Pressés, les futurs accouplés saccordent pour connaître lâge, les mensurations, les distances entre les lieux de résidence et les moyens financiers de lautre.
Cette pratique crée un grand tort à la prostituée classique qui perd de la clientèle et donne une mauvaise image de la belle jeunesse lettrée.
Cest dommage.
Mais cela permet aux aventuriers du sexe de multiplier sans problème des rencontres dont certaines finissent au lit. On ne se dit pas grand-chose, à peine sait-on un prénom, une ville. Irait-on jusquà pimenter une séance de mots damour ? Il est loisible dès le lendemain sous un autre pseudonyme de retrouver sur la Toile celui ou celle qui la veille vous chuchotait à loreille, arrondie comme un @, que cétait pour la vie.
« Chérie, jen ai une de vingt-deux dont je suis fier. Je suis brun. Jaime prendre en levrette et je suis échangiste ».
Je connais des personnes de lun ou lautre sexe qui nen font pas mystère.
Ils ne correspondent pas au physique quils affichent sur leur boîte de dialogues. Et pourtant, ça marche…
Tous sont des individualistes si appréciés par lidéologie bourgeoise, quils en sont les caricatures.
Hommes libres ou femmes libres, eux ?
Ils présentent presque tous un caractère égoïste qui définit comme vertu une incapacité à sastreindre à des rapports normaux avec les autres, sous prétexte duser du droit au libre épanouissement.
Décidément, les techniques modernes, comme les obsolètes nont jamais fait autre chose que montrer limmuabilité de linconscient.
LEglise aurait mieux fait de laisser Valentin, médecin devenu prêtre, décapité à Rome le 14 février 268, dans son anonymat. Ainsi les Lupercales, ces festivités païennes se seraient perpétuées jusquà nous, cela aurait mieux convenu à certaines célébrations qui tiennent plus du coït que de lamour dans nos sociétés de consommation.