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Janus

A voir le nombre de plus en plus grand de personnes qui vivent seules à Liège, à part celles qui ont choisi le célibat délibérément, il y a forcément un paquet qui sont mal dans leur peau, d’où les clubs, les lieux de rencontre et tout dernier must, le NET.
Seulement, ne nous leurrons pas, ces lieux ne sont pas nécessairement des endroits où trouver « l’âme sœur » (pour employer le langage des agences). Y prolifèrent des espèces carnassières qui ne sont là que pour agrémenter leur solitude et mettre en pièce l’âme naïve. Quand un spécimen de cet acabit rencontre un homologue de race et de vie identiques, la chose est entendue. Après les frottis d’épiderme et le reste, on se donne une claque dans le dos et basta !
Mais c’est souvent l’histoire du loup et de l’agneau, d’où méfiance… et qui dit méfiance, dit à la longue, l’impossibilité de faire confiance.
C’est ainsi qu’on se replie entre son pot de géranium, son poste de télévision et le téléphone.
Le géranium pour les évocations à la nature, la télévision pour ses paillettes et le rêve, enfin le téléphone pour faire la conversation quand on a besoin de parler.
Seul lien avec l’extérieur, le travail, pour ceux qui en ont.
Aujourd’hui, le travail comme lien social n’est plus ce qu’il était.
Les rivalités entre les personnes y sont telles que les relations sont souvent conflictuelles. La sujétion de l’employé à son chef n’annonce que trop bien une contrainte. Tout revient à des notions d’intérêt.
Les statistiques montrent qu’on se marie de moins en moins entre collègues de bureau. Les entreprises intérimaires en pullulant dans les métiers raccourcissent d’autant les contacts entre les acteurs du drame social. Quand on quitte son travail, ce n’est pas pour retrouver après journée celui ou celle qu’on a eu devant soi toute la journée.
Un/une célibataire battant le pavé en quête de quelqu’un/une avec qui partager un bout de chemin, bute sur un dilemne. Comment dire dans la rue à un/une passante « Vous me plaisez, voulez vous que nous aillons prendre un verre et parler pour savoir si nous avons des affinités culturelles ? » Cette franchise aurait pour conséquence un refus outragé.
Reste le hasard. Un renseignement auquel vous répondez. Une conversation banale dans un endroit qui l’est encore plus, un magasin, un bus, une salle d’attente… Il n’en demeure pas moins que ce premier contact, s’il est facile, n’augure pas de la difficulté.
Or, la méfiance et la timidité sont des facteurs envahissants du monde moderne et ce qui peut apparaître pour des petits riens, prend des proportions jusqu’à créer des obstacles insurmontables.

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- Totor de quoi tu causes ?
- C’est sartrien, tu pourrais pas comprendre.
- Dis tout de suite que je suis conne…
- Mais non chérie, je veux juste dire que tu n’as pas besoin de chercher les moyens de communiquer…
- Parce que toi, t’en as besoin ?
- J’explique aux autres…
- …que t’en as marre de ta bergère…
- Que vas-tu encore te mettre en tête ?
- C’était pour te dire qu’en ce qui me concerne… ta salade, tu peux l’assaisonner toi-même.
- Ça veut dire quoi ?
- Juste que tes séances à te torturer le citron devant ton ordi pour te demander si les autres existent, te pose plus la question.
- Je te comprends pas.
- Effectivement, ils existent et j’existe. Enfin, c’est ce qu’on me dit depuis trois semaines.
- Je ne… enfin, je crois que…
- C’est ça. T’es le champion du « Je ». Mais regarde autour de toi pour voir si le monde existe ailleurs que devant ton écran… D’ailleurs, ton écran, il est comme toi… il est vide… il ne reflète que toi, ton écran… Quand tu l’allumes, tu t’allumes…
- Mais enfin Majo…
- M’appelle plus jamais Majo. Je suis Marie-Josée.
- Qu’est-ce que ça veut dire ?
- Tu sais dire que ça « Qu’est-ce que ça veut dire ? ». Ça veut dire que cet aprem quand tu seras à ton ordi, j’irai voir Pierrot…
- Quoi Pierrot ? Tu vas pas me dire que tu vas voir ce gros con qui explique pourquoi elle penche, la Tour de Pise ?
- Oui, et pourquoi on baise mieux dans son lit que dans le tien…
- Ce que tu es vulgaire…
- Ce que tu es seul… sacré Victor !
- Comment as-tu pu, avec ce silène repoussant !
- Quand tu sais plus, tu sors ta mythologie. Alors, je vais sortir la mienne. T’es qu’un Janus, mon vieux Totor. Un Janus…
- Tu sais pas ce que tu dis.
- Si… si, un Janus… philosophe et raisonneur par devant et cocu par derrière… Si bien qu’on ne sait pas si c’est le cocu qu’est devenu philosophe ou le philosophe qu’est devenu cocu… Eh bien ! aujourd’hui, le cocu est des deux côtés…

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