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Les chaisières de Saint Lambert.

Affaire de coïncidence, trois auteurs liégeois bien différents, René Henoumont, Jean-Claude Bologne et Bernard Gheur ont eu l’envie tumescente d’écrire sur Liège.
Ce ne sont pas les histoires qui importent à la fantaisie des auteurs, mais le manteau pastel commun aux trois choristes qu’ils jettent sur Liège.
Quand j’ai envie de me gaver de clichés sur ma région, je pousse la porte « touriste » de la rue Féronstrée et je me farcis tous les lieux communs d’un coup : de l’impasse de la Vignette, à la Place Saint-Lambert en passant par les degrés des Bégards, aux mâchefers du musée de la métallurgie.
On ne reconnaît pas Saint-Pétersbourg dans l’œuvre magistrale de Dostoïevski, ni Toula et Moscou dans celle de Tolstoï. Pourtant, Saint-Pétersbourg, c’est quand même autre chose que Liège.
Même Céline qui raconte son enfance Passage Choiseul ne pousse jamais une pointe au Louvre et ne s’extasie pas sur les tours de Notre-Dame. Faut dire qu’après les quatre-vingts pages de description du père Hugo, on pouvait plus rien dire… entre parenthèse, ce sont les quatre-vingts pages de description les plus chiantes que j’aie jamais lues de ma vie.
La discrétion des dosages n’est pas notre fort. On se repasse le moulin à nostalgie comme celui du poivre et c’est reparti pour un tour… Liège par-ci, cité Ardente par-là…
Henoumont, c’est la vallée de l’Ourthe liégeoise qui le travaille. Vous me direz, voilà cinquante pages au moins vite faites. Décors en carton pâte comme dans l’œuvre de Fritz Lang, praires au Ripolin et pont sur la rivière plus célèbre que celui de la Kwaï. Sauf qu’en littérature il vaut mieux évoluer dans des lieux vagues, même s’ils évoquent la cour du château de Hamoir-Lassus. Ainsi le lecteur s’évade et crée soi-même un décor.
C’est que Hamoir, j’en pourrais dire autant que Henoumont. J’y ai joué aux billes sur le « Bâti », devant la ferme d’une cousine. Différences de tempérament ? Absence d’évocations poétiques dans une âme sèche ? S’il me prenait l’envie d’écrire une histoire d’Ourthe, c’est l’odeur forte de purin qui me monterait au nez et qui sourdrait de l’étable de Charles, oncle de mes cousins. Le reste ? Méfions-nous d’une certaine nostalgie que nous nourrit facilement l’âme. L’office du Tourisme pourvoit à toute admiration et à toute description fussent-elles balzaciennes !

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Ah ! si chacun des livres de Henoumont s’accompagnait d’un herbier… d’un beau cèpe, avec un paragraphe lapidaire sur le bivalve fossile de Comblain-Fairon, le tout parfumé de cette fragrance de merde qui plane sur les campagnes en période de fumage ! Cela changerait des promenades enchantées sous les noisetiers en fleurs et les vaticinations d’un diariste qui voit sa vie foutre le camp et qui nous retient par le veston pour masquer en fausse gaîté ses larmes sur notre épaule.
Autres temps, autre artiste, voici Jean-Claude Bologne, retenu à Paris pour cause de spécialisation dans la fine édition, mais dont le cœur bat mieux entre le cimetière Sainte-Walburge et la Vieille Voie de Tongres que partout ailleurs. D’un livre à l’autre sur les faux-culs de la mode1900 et sur la pudeur du temps de Jacques Cœur, le voici à l’aise dans la nostalgie hénoumonienne…
Voilà le drame. A force d’exalter l’amoureux du Vieux Liège perché au milieu de la Montagne de Bueren, on masque le « chômiste » en face qui avec huit cents euros par mois se farcit trois ou quatre ascensions par jour parce qu’il ne sait pas faire autrement.
Encore que l’homme-fougère de l’auteur soit moins romantique qu’il n’aurait été sous la plume de Henoumont-le-sensible.
Plus 6me arrondissement, J.-C. Bologne mignardise sa passion liégeoise. On sent que l’auteur a sa vie ailleurs. Dans le fond, Liège, il s’en fout. Alors, il se fait du mal pour retrouver une émotion ancienne. Il insère des touches « modernes » à son Liège rêvé dont il redit les malfaçons architecturales, les erreurs peu compatibles avec l’écologie. Mais, les vieilles rues ont la peau dure et nous retrouvons Louis Lefebvre, son héros, a son bonheur d’alpiniste des sommets de Pierreuse, tout ému d’un Liège qui n’a jamais vraiment existé, mais que tous les folkloristes ont vu, comme Jeanne à Domrémy.
Vite il faut nous ressaisir en abordant le dernier auteur de cette tétralogie des bords de Meuse.
Assez de fantaisie, les puristes se réjouiront, du « Liège » de Bernard Gheur. C’est enfin celui que le monde entier nous envie.
C’est le Liège avant les « Prizu », quand on passait en panier à salade de la Prison à la Place et que le grand Bazar brillait de toutes ses vitrines.
Le cinéma, les filles qu’on drague en sublimant le navet italien « La couronne de fer », le Carré et les anciens zazous devenus garçons de café, on se retrouvait sur les sentiers de grande randonnée du Pont d’Avroy au Pont d’Ile… ronde désoeuvrée des mercredis amoureux.
On se passait des infos sur les bons coups, on apprenait à fumer sans trouver ça dégueu et on cherchait des thunes pour aller tirer un coup rue Sur-la-Fontaine où officiaient les vétérantes du Corps expéditionnaire américain de 45. Ces pionnières admirables du sexe avaient décongestionné les braguettes de plusieurs générations de rhétoriciens de Saint-Servais
Hélas !... Les années de faux bonheur n’ont pas chez Gheur l’absurde cruauté dont je le pare. C’est dommage. A sa place, afficherai-je donc une indifférence à l’opinion dont il se garde bien.
Alors, allons-y : le Collège Saint-servais, les films de Hitchcock et les branlettes sur les effigies des stars de Ciné revue. Certes, vous ne trouverez rien dans l’œuvre de Gheur, de cette pollution du potache guetté par l’ombre du Frère surveillant. C’est une question de pudeur chez ce très catholique auteur ; cependant d’ajout en ajout, on a pitié de quelqu’un qui a une vie si conventionnelle. Y a-t-il rien de plus naturel qu’un collégien qui se poigne dans les waters d’une institution liégeoise aussi prestigieuse que Saint-Servais ?
Si vous êtes un chaud partisan de la survivance du folklore et des auteurs liégeois qui en usent et en abusent, si vous avez besoin d’une recommandation de l’échevinat du Tourisme pour une place d’animateur dans une maison de jeunes, alors achetez ces livres et consommez liégeois.
Sinon, avec l’argent que vous aurez économisé, prenez un ticket de bus « Si t’as ton ticket, t’es cool » et allez faire un tour de piste à Cointe ou relisez l’histoire d’Alexis Alexandrovitch Karenine qui eut le tort d’épouser Anna Arcadievna, vous passerez de meilleurs moments.

Commentaires

Quel est le nom du propriétaire du château de Hamoir Lassus vers 1945?

Merci de tout coeur

Christian Oosterbosch

Quel était le nom du propriétaire du château de Hamoir Lassus vers 1945?

Merci

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