A se fendre la gueule…
Oh ! comme ils sont drôles… au premier mot le public éclate. Le Type aux « applause » na pas besoin de donner le signal, que ce soit chez Arthur, Fogiel ou Ardisson, lacteur comique qui vend son actualité pour peu quil se trémousse, ergote, se lève, prend le monde à témoin et interrompt le présentateur, est certain de son effet.
Vous diriez pareil pour faire rigoler les mêmes ploucs, il y aurait comme un silence réprobateur. Le « Ce quil est con, celui-là !» naurait pas la même résonance dans la bouche des préposés aux rires que si cela avait été Debbouz ou Smaïn à débiter les mêmes conneries.
Miracle du comique ? Magie de lacteur ?
Pourtant Poelvoort fait du Poelvoort et Bigard du Bigard.
Mieux, Bigard na de lesprit que parce quil a de la mémoire. Ardisson le relance sur un de ses sketchs et le voilà parti pour cinq minutes de rire garanti. Pour le reste, il nest pas drôle. Il prend des positions réacs à la limite ….
Poelvoort se cantonne dans lesprit de son film les « Randonneurs ». Mais lui, en principe, na pas pour profession de faire de la variété, cest un acteur.
Depuis Blanche et Desproges, linterview de vedette a beaucoup évolué.
Ce nest plus au présentateur de faire le spectacle, mais aux invités. Si bien que ceux qui lont compris ne redescendent pratiquement jamais de la scène de lOlympia ou du Stade de France. Ils sont toujours en représentation. Bigard nest plus le même homme depuis quil a réuni un paquet de monde à son show. Il y a des rôles qui marquent comme le Napoléon par Clavier. Bigard naviguait sur le podium du Stade, comme Bonaparte à Austerlitz.
Une brève de comptoir racontée à un stade complet, na pas lhumour modeste.
Quils sétonnent après cela quon les pourchasse dans la rue pour faire rire et rire encore. Profession : comique, ce nest pas amusant tous les jours.
La réputation de faire rire est pourtant dune grande fragilité.
On se souvient de Dieudonné. Dabord irrésistible, avec des riens, il passait pour faire de lhumour. Voilà quil déplaît à la suite dune imitation de rabbin. Torpillé par les médias tous plus ou moins consensuels pour le coup, lâché par son ancien équipier Elie Semoun, le voilà cuit. On ne linvite plus. Il ne fait plus rire. Pourtant, cest toujours le même panaché dune mère bretonne et dun père africain qui affronte le public, ni plus ni moins que les autres saltimbanques. Ces sketches nont pas trop vieillis. Il en a écrit dautres, ni meilleurs, ni moins bons. Il na plus d « applause », plus de place sur les plateaux. Il vient dêtre relaxé par le tribunal dune accusation dantisémitisme. Présumé innocent, il en sort décidément coupable Lopinion, cest un torpilleur qui ne fait jamais machine arrière. Si Dieudonné sen remet, il faudra du temps. A moins quil ne frappe un grand coup, quil se convertisse au judaïsme ou quil épouse la charmante Elsa Zylberstein, ce qui en soi nest pas une si mauvaise fin.
Cest donc autant les médias que le public qui font le comique.
Cest pour cela que lhomme de la rue ne fait pas rire : il nest pas connu. Il ne le deviendrait partiellement que sil imitait un comique, indirect propriétaire de la notoriété quil singe.
La tentation est forte den faire davantage pour faire rire encore plus. Cest ainsi que sans le savoir, certains deviennent insupportables comme Debbouz qui ne rattrape le coup que parce que le public lui est acquis davance.
Les invités du plateau deviennent le miroir des anonymes. Les cabots sy complaisent au fur et à mesure quils perçoivent que les gens adhèrent à ce quils disent.
On rit des maladroits, des cocus, des malchanceux, des pas gâtés de la vie, de certaines petites infirmités avec défense de toucher aux grosses. Cest-à-dire de nous-mêmes qui avons été tout cela ou qui pourrions lêtre. La scatologie a son petit succès. La pornographie est dun maniement plus délicat, à moins den ajouter comme Bigard, toujours en plein sexisme, si empli de limage du gros beauf quon se demande sil nen est pas un. On rit des échecs, des défauts – Timsit a ramé pour revenir au top après sêtre moqué des trisomiques. O rit de tous les besoins. La société bourgeoise rabaisse lhomme et cest tout profit pour le rire. Le rire nest impitoyable que pour ceux qui sont vulnérables et souvent dans limpossibilité de se défendre, à la télévision, comme dans tout ce qui touche au domaine public. Mais, ce faisant, le comique prend bien soin de laisser entendre que le cocu cest lui, lavare, cest lui et le scatologue, cest encore lui, tout en étant quil pourrait être quelquun dautre dans la salle ;
Le rire est collectif par essence.
Lemploi de comique est ambigu. Le public déréalise linterprète des textes soumis aux rires. Il sera impossible bientôt à Debbouz de sidentifier à autre chose quun amuseur, même sil dit par ailleurs des choses graves sur la Palestine, par exemple, mais vite gâtées par une pitrerie ou par une complaisance envers le Maroc dont il est originaire, oubliant alors que le régime de ce pays est loin dêtre démocratique.
N‘empêche quen létat, nous avons besoin deux, dautant que ça et là, nous parvient une plaisanterie qui sans avoir lair dy toucher met le doigt sur une plaie dont personne ne parle. Ne serait-ce que pour cela…