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Incomplexe

Merde ! Quel con !... tellement avare qu’il a préféré se payer une tendinite plutôt qu’un godemiché !
Pourtant Choute, commerçante en Féronstrée lui avait bien dit :
« Fais attention, mon Pierre, t’es a capacité réduite. Tu saurais pas changé de voilure facilement. On se refait plus à soixante balais. »
Elle acceptait l’inévitable, Choute. Elle avait beaucoup perdu les dernières années de sa virtuosité à émouvoir le Gros. Les chutes de tension la minaient. Plus elle baissait pavillon, plus le Gros avait besoin qu’on lui recharge les accus et pas qu’en douceur, non, le fort ampérage au cul, tout de suite.
Choute aimait encore le Gros. On se lasse jamais du dernier témoin de l’impétuosité de la quarantaine, quand elle trompait Léon avec Pierre qu’était encore mince comme un fil et déjà beau parleur et qu’au fur et à mesure des progrès de l’embonpoint, on appela de moins en moins Pierre et de plus en plus le Gros.
L’après-midi de l’explication, ils étaient en pleine nostalgie, au temps où ils baisaient à l’étage, tandis que Léon servait les clientes au « Petit bonheur des dames », un prêt-à-porter en gérance.
Depuis, Pierrot avait pris du poids et pas qu’un peu et Léon quittait plus son fauteuil... Le Gros appelait sa panse la noix de coco, rapport à la rotondité et à la masse.
Son nouvel amour lui travaillait le cigare, dans les deux sens du terme.
« Tu vois, Choute, j’ai essayé d’être réglo avec toi, mais je l’aime Cri-d’amour, je l’aime ! Nom de dieu oui, je l’aime ! ».
Quelques jours plus tard, à la terrasse « Aux Ouhès », un chaud soleil inattendu donnait aux passants l’envie de s’asseoir pour mater à l’aise l’animation devant la Violette.
Choute pensait qu’il aurait mieux valu qu’il ferme sa gueule à propos de son grelot tardif pour Cri-d’amour, d’autant qu’elle avait été toute la semaine à l’évocation… les séances à l’étage, les dernières fois où elle ne simulait pas l’orgasme, puis les premières pannes à répétition du Gros… la déchéance ensuite, quand elle gueulait « Ah ! oui… c’est bon… » alors qu’elle avait la sensation épidermique de leur dégénérescence animale respective.
« Tu te rappelles la fuite d’eau du cabinet ? »
Le Gros n’avait plus de la mémoire que pour son dernier coup de la veille avec Cri-d’amour à son appart de Cointe.
Une entreprise où il laissait ses os à cause de l’extase perpétuelle de Cri-d’amour qui réagissait rien qu’à la claque du Gros sur son derrière rebondi. A la voir en feu pour si peu, le sexagénaire puisait dans ses réserves et comme dans sexagénaire il y a « sex »… il repartait vers un nouvel Austerlitz !...
- T’as la main ensorcelée, mon amour.
- Quoi ? Qu’est-ce que tu chantes ? Que j’ai la main ensorcelée ? Qu’est-ce que t’as, mon Pierre ?
- Pardonne-moi, Choute, je pense trop à l’autre… Elle dit que j’ai la main ensorcelée.
- Tiens, quelle drôle d’idée !
Choute ne lui avait jamais balancé qu’il avait le touché casanovien. Le cul gelé qu’elle avait, et lui plus de lampe à souder pour fondre le bouchon.
- Alors, et cette Cri-d’amour, elle vient ou pas ?
C’était une idée du Gros de présenter Cri-d’amour à la Choute.
Les derniers temps, le Gros, avant qu’il ne rencontre Cri-d’amour, avait parfois recours aux ambulantes qui rendent enfin tout le pittoresque à Liège sans effrayer les familles. Une agenouillée qui vaquait derrière la Grand-poste avait quelques temps ragaillardi notre homme. C’était une de ces malheureuses qui avait besoin du discours des autres pour exister. Elle était tombée de première avec le Gros. Qu’importe le lieu, l’effet produit sur une dame chatouillait son amour-propre. Elle lui donna la réplique avec l’enthousiasme d’une femme à qui on ne cause jamais que de détails techniques tarifés.
- Frida, comment elle prend la chose ?

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La Choute était au courant pour l’horizontale aussi. Pierre avait amené Frida dans sa Mercedes verte à l’appartement, alors que la Choute y était. Ils avaient sympathisé au point que Pierre avait trouvé le trio charmant.
- Faut être progressiste, hein, Pierrot ?
Le Gros était bien d’accord.
Cri-d’amour, avec un quart d’heure de retard, surgit de derrière la fontaine et se planta devant eux. Elle embrassa sans façon le Gros goulûment sur ses lèvres épaisses, à la façon des enfants qui sucent un cornet. Puis bredouilla quelques mots.
- Anatole me suit depuis huit jours. Il se doute…
Léon, quand l’écaille des yeux était tombée et qu’il avait su que la Choute s’envoyait son vieux copain Pierrot, s’était comme tassé sur lui-même, avait perdu le goût de la vente, était tombé malade sans que l’on sache ce qu’il avait. La force lui manquait pour repousser la poignée de main que l’autre lui donnait une fois la semaine à la fermeture du magasin avant de grimper à l’étage astiquer la Choute tandis que Léon restait dans son fauteuil derrière les coupes de tissu.
Anatole commençait la même maladie. Il rapetissait de jour en jour, perdait l’appétit, tandis qu’un léger tremblement agitait sa main droite.
Léon avait fini par se tirer une balle dans la tête. Le légiste avait mis cela sur le compte d’une dépression nerveuse foudroyante. Comme quoi, les histoires de cul montent parfois au cerveau.
Anatole n’en était pas encore là. Il jetait ses dernières forces dans des jeux de piste avec Cri-d’amour. Mais, elle les déjouait tous.
Le Gros et la Choute invoquèrent Léon, ses manies et son incompétence générale qui se traduisaient par des maladresses.
Une sorte de solidarité entre les deux femmes surgit à propos des maris. Le Gros n’avait jamais été marié. On enterra Léon pour la deuxième fois, en attendant Anatole. Puis, le silence gagna le trio.
Il faisait beau. On pensait à la vie devant soi.
La Choute se demandait ce qu’elle allait faire seule, puisque la main passait.
Ils noyèrent leur réflexion dans la limonade.
Frida ne savait pas que le Gros ne viendrait plus. Elle guettait sa venue en réfléchissant à ce qu’elle allait dire, depuis qu’elle avait appris à parler la bouche pleine.
Anatole, essoufflé, avait abandonné la poursuite place Saint-Jacques. De songer aux lendemains, lui donnait des vertiges.
Le Gros cherchait des mots de convention pour dire adieu à la Choute.
Cri-d’amour était de ces femmes dont l’ennui soudain succède aux passions les plus violentes. Et il lui sembla subitement, qu’elle était déjà étrangère à la femme amoureuse et empressée qu’elle était la minute avant, quand le Gros fit un pet sonore, qu’il en rougit de confusion. Le rire qui sortit de la gorge de Cri-d’amour ne lui appartenait plus.

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