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- Alors?...
- C’est pour l’annonce.
- Que savez-vous faire?
- J’ai travaillé dans un dépôt...
- Je veux dire, à quoi passez-vous votre temps en dehors du travail ?
- Le plus souvent, je le passe à ne rien faire.
- Pourquoi ?
- Parce que je ne fais rien depuis que l’usine est fermée
- Ah!... Hum!... Vous savez pour quel emploi vous êtes ici?
- Non.
- J’espérais que vous me le diriez, car moi non plus… C’est mon adjoint qui s’occupe de tout. Moi, je ne m’occupe de rien. Je vous reçois, parce qu’il n’est pas là. Vous ne paraissez pas remplir les conditions...
- Pourquoi?
- Vous ne savez même pas pour quel emploi vous vous présentez ! Quant aux conditions, je ne saurais dire lesquelles, mais c’est ainsi, vous ne convenez pas.
-Vous aussi, vous ne savez pas pour quel emploi vous me recevez.
- Restez où vous êtes !
- Mais... je n’ai pas bougé...
- Oui..., oui..., On dit ça... puis on répond comme vous venez de faire... Ne vous levez pas. Que voyez-vous sous le bureau ?
- Qu’il manque un pied.
- C’est mon adjoint. Un homme corpulent. Comme je lui avais retiré la chaise sur laquelle vous êtes assise. Il s’est assis sur le coin de mon bureau. Vous voyez le résultat.
- Où est le pied ? On dirait qu’il a disparu.
- Oui. Ce qui n’est pas fixé au sol ou au mur disparaît. Tout disparaît ici. Vous savez réparer les bureaux ?
- Je pense... J’ai réparé un bec.
-Faites pas la maligne. Vous ne seriez pas ici, si vous étiez ornithologue.
-C’était un bec de gaz.
-Vous étiez dans une entreprise qui s’éclairait au gaz ?
-Non, c’était un bec Bunsen qui servait à chauffer le café.
- J’ai usé, deux pots de colle sans parvenir à recoller le pied. J’ai retenu les deux pots de colle sur les appointements de mon adjoint qui les a, à son tour, retenus sur ceux de sa secrétaire, si bien que je crois avoir fait une bonne affaire, quand j’ai appris que l’on avait en descendant la hiérarchie économisé l’équivalent de 32 pots de colle, mais je n’ai toujours pas de pied.
- Est-ce pour réparer le pied du bureau que vous demandez quelqu’un ?
- Peut-être bien, après tout. La main-d’œuvre est si bon marché et si abondante qu’il n’y aurait pas lieu de s’en priver.
- Simplement vous ne pouvez pas me demander de réparer un pied de bureau sans le pied !

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- C’est là où vous vous trompez, mademoiselle la raisonneuse. Mon passe-temps favori c’est de faire faire des tâches impossibles. La seule menace d’un préavis et elles sont exécutées à l’instant même !
-Comment pourriez-vous me menacer d’être licenciée, puisque vous ne m’avez pas engagée ?
-Je vous engage à condition de réparer ce bureau irréparable. Nous signerons pour la période d’essai après. Je vous préviens, ici la période d’essai est très longue. Elle ne se termine pour ainsi dire jamais. Je vous prends à l’essai, parce que ce bureau est irréparable, et que vous n’aurez pas l’occasion de revenir demain.
- Mais, qu’est-ce qu’un bureau a à faire avec un emploi de bureau?
- Vous écrivez sur quoi ?
- Il n’y a rien sur la tablette de votre bureau, vous ne devez pas travailler souvent !
- Je ne travaille jamais. Cela m’arrange que je ne puisse écrire quoi que ce soit sur ce bureau. Mais cela me dérange de ne pouvoir y mettre la tête dessus pour dormir.
- Voilà un raisonnement de fainéant.
-C’est un mot que je n’aurais pas à la bouche si j’étais à votre place. S’il y a bien une personne qui pourrait être gratifiée du mot fainéant, c’est bien vous. Quant à moi, demandez à tout le monde, ici. Je réfléchis !... Personne ne dit que je suis un fainéant.
-Sans m’avoir engagée vous dites déjà que je suis une fainéante ?
-Oui. Ils le deviennent tous dans cette entreprise. Vous, c’est impossible de vous engager puisque vous l’êtes déjà ! Et je ne vois pas de raison que vous ne le soyez pas, dès lors que vous souhaitez faire partie du personnel. D’autant que nous n’avons pas de travail, sauf à réparer le pied de mon bureau, ce que vous ne savez pas faire.
-Dans ces conditions, il vous est impossible de m’engager !
-C’est l’évidence même.
-Pouvez-vous me signer au moins le formulaire de l’ONEm attestant que je me suis présentée à votre entreprise et que vous avez refusé de m’embaucher ?
-Je ne peux pas, mon bureau n’est pas en état de supporter votre papier sur lequel pour le signer je dois m’appuyer.
- C’est absolument illogique que vous ne m’engagiez pas.
- Pourquoi illogique ?
- Parce que, ce qu’il faut donner à une fainéante, c’est un poste où elle ne ferait rien.
- C’est ça ! Voilà dix minutes que vous êtes là et vous voulez déjà me remplacer !

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