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Ferdine la douleur.

Que les pisse-froids et les moutardiers du pape se le tiennent pour dit, et à ceux-là ajoutons la gauche qui diabolise les écrivains fachos dans l’espoir de faire oublier la collaboration avec les libéraux, je considère que Louis-Ferdinand Céline est parmi les plus grands écrivains du XXme siècle.
Tant pis pour ceux qui n’adhèrent pas à la prose du « Voyage au bout de la nuit ».
Oui, je suis de parti pris et j’assume…
Cela saute aux yeux que ce romancier dit la misère comme personne en même temps qu’il cloue au mur la vacherie humaine avec une aisance insolente, mais avec la justesse de celui qui décrit un chien qui l’a mordu..
Les ratiocineurs diront que c’est du populisme vérisme et ainsi tenteront de réduire l’œuvre à une sorte de naturalisme primitif.
Son œuvre compte neuf opus. Du premier au neuvième, on a compris, elle ne ressemble à rien. Elle est spéciale, unique et n’entre dans aucun moule. Ses imitateurs, encore aujourd’hui, sont nombreux. Cependant, ils n’arrivent pas à bien gérer les « trois petits points ». Cela sent le réchauffé, l’appliqué, le lourd…
C’est un art du paroxysme, de la folie maîtrisée et d’une simplicité qui est la forme la plus grande de l’art en littérature. Son chef-d’œuvre simplissime est « Casse pipe ». Si tant est que l’on puisse comprendre le ressort du militaire et l’insondable bêtise de l’état de celui-ci, lisez ou relisez ce petit livre. Il n’a l’air de rien. Il est écrit comme « La mare au diable » de Sand, mais à son opposé, avec la même économie de moyens. C’est drôlement efficace.
Revenons au Voyage qui fit connaître « l’artiste ».
Les érudits penseront au Candide de Voltaire, tant les tribulations de Bardamu sont proches de cette fatalité de la vie qui fait tout voir par le cul d’une bouteille.
« Tant que le militaire ne tue pas, c’est un enfant. On l’amuse aisément. N’ayant pas l’habitude de penser, dès qu’on lui parle il est forcé pour essayer de vous comprendre de se résoudre à des efforts accablants. Le capitaine Frémizon ne me tuait pas, il n’était pas en train de boire non plus, il ne faisait rien avec ses mains, ni avec ses pieds, il essayait seulement de penser. C’était énormément trop pour lui. Au fond, je le tenais par la tête. » (Le Voyage page 151).
Céline est plus qu’un visionnaire, sa répulsion du monde et des hommes est telle qu’elle nous apparaît comme une vérité suprême et imprononçable, sauf par lui. Cet homme serait un saint, s’il n’avait puisé dans ses propres abjections le sentiment de l’universel.
Reste ce qu’on lui reproche avec le plus de commodité, son antisémitisme et sa collaboration avec les nazis.
Comment concevoir une admiration sans borne pour une œuvre originale et forte avec une idéologie détestable et un engagement politique inacceptable ?
C’est un peu le drame des écrivains « dépravés ». Plus près de nous, on pense à Artaud, Bukowski, Genêt… la liste est plus longue qu’il n’y paraît.
Ni Gide, ni Sartre (ce dernier pensait que Céline touchait de l’argent de l’ennemi) n’ont rien perçu du personnage, ni de sa grandeur issue de sa bassesse.

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Pourquoi dissocier l’écrivain de génie, du salaud ? Salaud de circonstance, avec la part de fatalité d’une existence débutant passage Choiseul à la lumière des manchons à gaz, se poursuivant au front, jusqu’à la blessure de 1915, la réforme avec la médaille militaire et le départ, vers un autre destin.
Cet homme d’outrance, d’énormité est celui qui a quand même aidé des générations dont la mienne à mieux comprendre les mécanismes humains, à faire détester la guerre, les pouvoirs d’argent, à surmonter les rancoeurs, mettre un nom sur les dégoûts et à prendre tôt le parti des exclus pour ne plus jamais lâcher, comme lui, « la rampe du pont » de Courbevoie.
Avec Céline une page s’est tournée. La littérature pour fin d’après-midi de la ménagère qui a son dîner sur le feu et quelques minutes devant elle, est définitivement révolue.
Voici la littérature où le mal est mis en scène par un orfèvre qui à force de vivre dans l’ignoble, se grandit de son désespoir de n’être que cela.
On ne peut pas pousser plus avant le mimétisme de l’homme et de l’œuvre.
Céline a poussé au plus haut la description du carnaval macabre de nos destinées. Il est à ce titre le seul à pouvoir justifier du pourquoi ?... des plus banaux aux plus terribles d’entre nous.

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