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On vote au temps des cerises.

Pendant les guerres, la détention du manuel du petit déserteur était passible de poursuite. Aujourd’hui, le même mais spécialisé dans l’élection est tout autant vilipendé par « les forces vives », ce magma d’intérêts régulièrement en irruption dans des affaires judiciaires ;
Le citoyen a-t-il raison de traîner les pieds le dimanche où on l’invite sous peine de poursuite à donner son avis quand il n’en a pas envie ?
L’Haut-lieu le déclare coupable de se désintéresser de Lui, de ne pas écouter le message qu’il délivre dans les meetings. Il l’accuse de préférer les petits délassements d’après le boulot, aux vastes enjeux dans lesquels l’Haut-lieu s’implique en son nom.
Comme il espère qu’en dernière minute le citoyen se ravise et se jette sur les journaux et qu’enfin il se fasse une opinion, l’Haut-lieu ne tient ce discours défaitiste qu’en privé. Devant le citoyen, il l’abjure aux noms des plus grandes valeurs démocratiques de revoir son point de vue ; ainsi il se donne bonne conscience à peu de frais et s’autoproclame démocrate.

Le petit déserteur des urnes explique autrement son attitude. Les affaires, dont le monde politique est gangrené, ont détruit son moral. Les explications qu’on lui donne ne lui suffisent pas. Peu à peu, il s’est installé dans une méfiance instinctive, ayant fait la différence entre le discours et la réalité. Il s’imagine être victime d’un complot, une sorte d’alliance entre les pouvoirs afin de le pressurer à mort.
Les sociologues et les statisticiens alimentent de leurs considérations les discours contradictoires.
Ils en concluent que le citoyen version 2007 est définitivement déconnecté, une sorte de légume sans capacité de comprendre, passif, indifférent, un ovni venu d’ailleurs pour des errances terrestres sans perspectives.
Il n’est venu à l’esprit de personne que cette non-présence – il suffit de voir les « foules » le 1er Mai pour s’en convaincre – cache en réalité un désir ininterprété qu’on s’occupe de lui, qu’on s’intéresse à son sort autrement que par de belles phrases dans les dîners en ville. Il veut faire part de son réel qui n’est le bienvenu nulle part et surtout pas dans les milieux socialistes. Qu’y a-t-il pourtant d’aussi représentatif d’une souffrance que le haussement d’épaule ? Les aquoibonistes sont sortis du poème de Donnay et sont à présent des millions. Et cette opinion-là – je le déclare – il faudra bien un jour que l’Haut-lieu s’en préoccupe, s’il veut encore s’asseoir sur le velours turgescent du Sénat face à la redondante Lizin.
Ce qui chagrine les traîneurs de savate face à la grandiose machine où il est souverain trois minutes tous les quatre ans, c’est le peu de qualité des éligibles, de ces familles recomposées de notables et de fonctionnaires, dans lesquelles les visages familiers se perpétuent du père au fils, de l’amant à la belle-sœur, de la mère à la fille, dans un imbroglio à la Dallas qui n’a son égal que dans les bureaux de ces mêmes municipalistes où se retrouvent dans un ordre dégradé à peu près tous les critères de la mise en forme des strates supérieures.
Quelqu’un a dit « ce ne sont pas les meilleurs, mais les pires qui dirigent ». La Ville de Charleroi est l’illustration même de ce propos désabusé.
On en arrive alors que tous ceux qu’on voit sur le devant de la scène, tout ce panel tant de fois au pouvoir et se relevant quand même à la suite des désastreux bilans, disparaissent par le trou du souffleur et gagnent l’anonymat des couloirs d’évacuation en cas d’incendie.
On pourrait se poser la question de savoir si le suffrage universel ne procéderait pas mieux par tirage au sort ?
Ce serait une façon de dire qu’on ne peut pas avoir pire que ce qu’on a eu.
Bien sûr, il faudrait des règles pour désigner parmi les citoyens ceux qui sont aptes et ceux qui ne le sont pas à l’exercice du pouvoir, des filtres portant sur les mœurs, les aptitudes et les programmes, sur le temps que se dresserait une liste de ceux qui malgré ce qu’on leur offre ne le souhaiteraient pas.
Ne serait-ce pas démontrer ainsi que le pouvoir est bien réellement dans les mains de tous et redonner vie au concept de Sartre : « Un homme parmi les hommes et que vaut n’importe qui.»
Enfin, nous verrions ce que peut faire la compétence des incompétents en lieu et place de l’incompétence des compétents, selon une belle formule d’Edouard Delruelle relevée dans le n° 8 du magazine Philosophie.
Nous en aurions fini avec les sagas familiales, les prévaricateurs, les concussionnaires et les corrompus. Peut-être verrions poindre à l’horizon les mêmes vices transpercés les anonymes ; mais au moins nous aurions eu une initiative rafraîchissante et certainement riche d’enseignements.
C’est toujours ça !
Mais on pourrait aussi découvrir de grands commis intègres et d’audacieux novateurs, ce qui n’est pas le cas en ce moment ; ça se saurait !

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