« Le Journal Le Monde en danger. | Accueil | Di Rupo et les petites gens. »

Et la vie ?

Je crains, chère Danièle, passer pour un aigri, un fâcheux ou un triste. Alors que ma conduite n’est que celle d’un homme qui essaie de comprendre toute chose à sa portée.
Fourniret, par exemple, on comprend les psychiatres qui hésitent d’affronter le public qui vocifère et étriperait le monstre, s’il était seulement une minute à portée des mains vengeresses d’une foule.
Aussi, ces malheureux psychiatres se gardent-ils de formuler des hypothèses qui sortiraient du conventionnel. Ils seraient soupçonnés de complicité ou de penchants pédophiles. Quand des lieux communs servent de règles, il vaut mieux rester prudemment à la dichotomie du bien et du mal, en prenant l’ultime précaution de se réclamer du premier.
Un spécialiste, interrogé à la RTBf, a trouvé une formule qui s’apparente à une fuite. « J’essaie de comprendre des hommes. Je ne peux comprendre des monstres. »
Erreur, il faut les comprendre aussi ; car, les monstres sont des hommes. Ils vivent à peu près comme nous. Et leur nature étrange ne nous doit pas rester inconnue, puisqu’ils sont parmi nous et que nous pouvons être leurs victimes.
Les comprendre pour nous en prémunir, n’est-ce pas une sage conduite ?
La conduite de Fourniret est probablement celle d’un solitaire. Même s’il a accompli la plupart de ses forfaits en couple.
A quel moment du raisonnement a-t-il disjoncté ?
En littérature, le Marquis de Sade a peut-être décrit le personnage de Fourniret, sinon un type d’assassin-sadique assez proche. Maurice Blanchot en a tracé le parcours du raisonnement :
« La nature nous a fait naître seuls. Il n’y a aucune sorte de rapport d’un homme à l’autre. La seule règle de conduite, c’est donc que je préfère tout ce qui m’affecte heureusement et que je tienne pour rien tout ce qui de ma préférence peut résulter de mauvais pour autrui. La plus grande douleur des autres compte toujours moins que mon plaisir. Qu’importe si je dois acheter la plus faible jouissance par un assemblage inouï de forfaits, car la jouissance me flatte, elle est en moi, mais l’effet de crime ne me touche pas. Il est hors de moi ».
Par définition l’excès est en-dehors de la raison. Ce n’est pas tant l’homme Fourniret que le psychiatre renonçait à décrypter, mais l’excès.

000a.JPG

Ainsi, chère Danièle, d’une misérable créature à l’ouverture au monde, il y a toutes les gammes du désespoir humain, à la joie la plus grande.
Oui, notre vie, la seule que nous ayons et à laquelle tout le monde tien, mérite d’être vécue. Le monde est un complexe formidable, fait de mauvais exemples et de grandes joies, d’idéologies contagieuses et de sagesse philosophique – quoique les philosophes que nous connaissons ne le soient guère.
Nous avons à nous débattre sans cesse contre des entraînements de toute nature, dans un champ de bataille intime, d’où nous sortons meurtris de nos contradictions.
A vivre en bonne entente avec les autres, nous finissons par devenir meilleurs. Nous avons triomphé de nos instincts grégaires. Un drame caché dès l’origine de l’espèce est sans doute en nous, dont sortent parfois des Hitler et des Fourniret.
Les hommes sont-ils tous fous, ou bien poussés par la recherche du pain quotidien et la perspective de le faire gagner par les autres, ne le deviennent-ils pas un jour ?
Sans doute.
Quoique détruite, la nature ne renonce jamais, la rosée du matin et le coucher de soleil appellent nos corps à laisser échapper l’âme en guise de merci.
Même si nous ne survivions plus que par les insectes, nous survivrons toujours. La nature est en nous, puisque nous en sommes un des produits les plus finis et les plus complexes.
En-dehors des calculs, des bassesses et de la cupidité des maîtres que nous subissons ou que nous avons choisi, l’orée d’un bois, un sentier au bord d’une rivière, et tant d’images qui nous viennent à l’esprit, ont de tout temps fait aimer la vie libre et détester l’esclavage.
N’est-ce pas le plus important, chère Danièle ?

Poster un commentaire