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La Banque et l'Etat

Comment aurait réagi Montaigne à la crise ?
La question est gratuite. On aura beau s’étendre sur ce qu’auraient été les réactions du philosophe devant la crise, aucune affirmation ne serait légitime.
Cependant, on peut se rafraîchir la mémoire sur ce qu’il était.
Michel de Montaigne dans ses Essais a reproduit le portrait de l’Homme à travers l’évolution de ce qu’il pensait de lui-même.
Proche d’Erasme et l’Eloge de la Folie, lointain cousin d’Epicure et des Sceptiques, le philosophe était tout le contraire du citoyen d’aujourd’hui atterré par une crise financière.
La crise lui serait apparue distante du travail des Hommes, dans une fiction financière sans rapport. Il l’aurait trouvée bouffonne.
Law, qui ne vint qu’au XVIIIme siècle avec les idées libérales, aurait conforté son mépris pour des richesses de papier dont une bougie peut venir à bout.
Ce n’est pourtant pas faire du passéisme en évoquant Montaigne, quand, après avoir lu les Essais, on se prend à songer à l’immuabilité des travers, des vices et des vertus de l’humain. Comme La Bruyère dans ses Caractères, quelques dizaines d’années plus tard, retraça la vie méprisable de ces barons de l’argent qui fuient les dégâts qu’ils commettent en emportant la caisse.
Les hommes politiques qui tentent de calmer le jeu, des papiers qui s’échangent et des monnaies fictives qui s’entassent ou s’évaporent, Montaigne les eût trouvés grotesques, surtout lorsque les politiciens disent que c’est la raison qui les ont poussés à refinancer les banques, sur le temps que les patrons inciviques déploient leurs parachutes dorés pour des descentes stratégiques dans les parcs de leurs châteaux…
Depuis les débuts de son œuvre, jusqu’à la fin, Montaigne n’a pour la raison que du dédain.
Il lui préfère « fantaisie », la voyant jeu de l’esprit de seconde main, instrument peu fiable qui ne permet d’accéder à aucune connaissance.
« J’appelle toujours raison cette apparence de discours que chacun forge en soy ; cette raison, de la condition de laquelle il y en peut avoir cent contraires autour d’un mesme subject, c’est un instrument de plomb et de cire, allongeable, ployable et accommodable à tous biais et à toutes mesures. »
Comment sommes-nous arriver à préférer les chiffres alignés sur des ordinateurs que des robots manipulent, au vrai travail des hommes ?
Comment peut-on croire le ministre Reynders qui s’engage à rembourser les emprunts avec le travail de millions d’hommes pour refinancer des banques desquelles seule la confiance aurait disparu, quand leurs robots boursiers se sont mis à bégayer ?
« Et il est vrai qu’il n’y a rien de si absurde qui n’ait été un jour soutenu avec le plus grand sérieux ! »
Cher Montaigne, tu parles d’or, quand tu entres dans le balancement de la pensée qui oscille entre le sens caché de l’univers qui t’intimide et les limites de la nature humaine.
Kant dans la « Critique de la raison pure » emploie une métaphore plaisante à propos des sceptiques « une sorte de nomades qui ont horreur de toute exploitation permanente du sol ». Montaigne, s’il fuit la constance, ce n’est pas par légèreté. Son scepticisme est une sagesse qui dévore le monde des yeux, non pour le détruire, mais pour le comprendre.
Or, la crise qui nous affecte et dont on parle tant, n’est pas compréhensible à travers le discours officiel.
Elle n’est perceptible que par la souffrance qu’elle génère parmi les innocents.
C’est proprement inouï que cette crise finira par profiter à ceux qui l’ont provoquée, plutôt qu’elle aurait dû être la preuve d’une forme d’assassinat des pauvres !
En d’autres temps, on l’eût exhibée comme argument de culpabilité afin que les autorités suspendissent les coupables au bout d’une corde !

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On sait le conservatisme pointilleux de Montaigne (1), mais on ignore jusqu’où, en l’occurrence, il eût poussé l’amour de la vérité. La critique du langage, l’ambiguïté des mots feront que l’on s’abstienne des actes définitifs. Pourtant, il croit à certaines nécessités : « En toute police, il y a des offices nécessaires, non seulement abjects, mais encore vicieux : les vices y trouvent leur rang et s’employant à la conservation de notre santé… le bien public requiert qu’on trahisse et qu’on mente et qu’on massacre. » On se croirait chez Machiavel.
Et si voler au secours des banques en préservant les banquiers était aussi un crime ? Que dis-je, un crime… le même crime, dans un complot des riches contre les pauvres, dont le personnel d’Etat ferait partie ?
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1. Chaban-Delmas écrivit un livre sur Montaigne, sans doute parce que le philosophe fut comme lui maire de Bordeaux. Cet ouvrage n’est pas une référence, dans le genre, il y eut mieux.

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