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Gargamelle chez les Schtroumpfs.

Plus on s’éloigne de la Belgique, plus le touriste belge est vantard et patriote !
Mais de politique, il n‘en est pas question, quoique l’on sente dans les hôtels à plus de 500 lieues de Zaventem, une propension à un optimisme inconscient entre la poire et le fromage.
Malgré des statistiques qui établissent le contraire, le touriste au long cours est persuadé que la crise est derrière.
Rien ou presque sur les avatars du système.
Il est en cela en parfait accord avec les partis qui, des Ecolos au Mouvement réformateur, en passant par le PS et le CDh ne présentent dans leur programme aucune réforme sérieuse du capitalisme.
Comme il faut, évidemment, ne pas montrer un cœur de pierre, surtout quand on est en pension dans un 4 étoiles à 200 euros la nuit, les retraités de la réussite et les garantis du salaire à vie montrent leur sollicitude aux familles des deux morts de la grippe mexicaine.
Inutile de leur faire remarquer que la crise détruit quantitativement plus d’existences.
C’est ainsi qu’en vacances, on doit éviter les sujets qui fâchent.
Donc tout va bien. On s’en sort. Le capitalisme n’est pas mort.
S’il y a bien une vérité dans ces trois certitudes, ce ne peut être que la dernière.
Il n’est pas mort le bougre, ce sont ses adhérents forcés qui le sont ou s’apprêtent à l’être.
Parmi les plus téméraires de l’entre-deux plats, un exégète de la pensée unique a l’argument irréfutable « nous sommes entrés dans le monde global. L’économie est mondiale. Ce serait folie de la vouloir réformer, même au niveau de l’Europe, a fortiori dans le cadre de notre petit pays. »
L’immobilisme a toujours conforté les parvenus dans leur sage opinion qui est de ne rien faire. Comme cet argument suprême est partagé par la classe au pouvoir, allez donc dire le contraire ?
Parce que dès que vous demandez si c’est là l’opinion de ceux qui souffrent de la crise, le tollé est général.
Des demi-pensions aux pensions complètes, on vous voit venir avec vos gros sabots de 89, version 17 façon Lénine.
« La pire des solutions pour les chômeurs et les exclus seraient de faire la chasse aux riches, de vouloirs étêter les bénéfices, de mettre un frein aux gros salaires », c’est un pharmacien qui parle. La minute précédente, il se plaignait de ses locataires. Ecoeuré, il tentait en vain de vendre en bloc ses dix-sept appartements plein centre.
C’est Vuitton et Hermès qui avec Lagerfeld et Cartier font vivre les masses. Si on touchait à Bouygues, Bolloré, Frère, jusqu’à la moindre banque, c’est le peuple qui serait fichu… SDF à jamais !
Pourtant parmi les Belges confortables du 4 étoiles, pas que des sots, au contraire assez érudits pour ne pas trop décevoir en matière d’art et d’histoire. C’est la Grèce antique, rapport à leurs souvenirs de rhétorique, qui les enthousiasme le plus.
Ah ! le peuple d’Athènes comme il était magnifique de démocratie à l’agora de Périclès !
Avant la crise, on en voulait aux riches sans y inclure les réussites bourgeoises « Il est parti de rien. Voyez comme il a réussi. »
Depuis que l‘univers s’est rétréci, la catégorie en-dessous du richissime est assimilée : professions libérales, marlous de la petite industrie, planqués de la politique, pontes de la haute administration, ces gus ne s’en rendent pas compte, mais cette enveloppe globale, cette désapprobation unanime, c’est le début de la pensée insurrectionnelle.
Une majorité se dessine qui ne croit plus aux mots qui promettent bonheur et réussite.
A force d’avoir promené le travailleur, on n’arrive plus à le faire bosser d’un cœur léger…
…..
Je quitte cette jovialité d’expatriés volontaires pour ramasser un numéro du Point.
Il est ouvert à la page du bloc-notes de Bernard-Henri Lévi. On sent que le lecteur précédent, s’est attardé avec délectation sur ce morceau d’anthologie du plumeau et de la brosse à reliure.
B-H L. s’y est surpassé. Tout y est : l’atticisme, l’afféterie, le propos obséquieux et cet indéfinissable orgueil de ceux qui savent et qui éprouvent une commisération infinie pour les imbéciles que nous sommes.
Les prolégomènes de la prose Lévitienne ont dû réjouir l’aréopage que je quitte à l’instant.
« Ils ne sont pas très nombreux, les jeunes gens d'aujourd'hui qui se souviennent du portrait de Lautréamont imaginé par Félix Vallotton. Ni de la lettre de lord Chandos à Francis Bacon rêvée par un Hofmannsthal voulant prendre la mesure du ravage dans les langues qu'ont signifié les temps modernes ».
Et ça continue afin qu’à la ronde, on sache que BHL n’est pas le premier venu et qu’il a les meilleures références qui soient.
« …Ni de ce que Melville avait en tête quand, aux prises avec un « Moby Dick » que tout le monde croit connaître mais que presque personne n'a vraiment lu, il lance à Nathaniel Hawthorne : je suis en train de rompre les sceaux du pays des ombres. Ni, encore moins, de la révolution mondiale lancée par un certain Friedrich-Wilhelm Schelling quand, deux ans après la « Phénoménologie de l'esprit », il a l'intuition d'un Dieu déchiré entre un fond proprement divin et une puissance maléfique qui le soulève ».
Celui qui a la chance de connaître la moitié de ce que BHL évoque, ce n’est déjà pas mal. La question est de savoir pourquoi cet étalage ? On est enfin au parfum, c’est un coup de pub pour deux jeunes écrivains, sans doute proches de la maison d’édition de notre Illustre, Yannick Haenel et François Meyronnis.
La raison du dithyrambe saute aux yeux, cette jeunesse dirige une Revue, l’occasion future d’un article payant de BHL ! Et voilà que ces audacieux publient dans une collection dirigée par Philippe Sollers, « un manuel de savoir-vivre-lire », à l'usage de générations qui ne sont souvent jeunes, hélas, que de leur ignorance résolue ».
Le Point me tombe des mains.

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Mes compatriotes quittent la table le ventre un peu plus arrondi. Avec l’alcool, une certaine grossièreté faubourienne les saisit. Elle leur remonte par petits rôts entre deux expressions lestes. Si les matrones qui les accompagnent n’étaient pas là, ils banderaient de l’œil en matant les serveuses…
Dans les grandes choses, nous dit Chamfort, les hommes se montrent comme il leur convient de se montrer ; dans les petites, ils se montrent comme ils sont.
Après la sieste, ils feront deux largeurs de piscine, avant de s’inquiéter du menu du soir.
Dehors, il pleut.

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