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Asteûre d’ji’m va tchîre…

On a beau dire, mais la télévision, en tenant lieu de tout, a réussi la glaciation du siècle..
Quand elle est autorisée à prendre quelques images à l’intérieur de l’enceinte du Parlement, la salle est pleine, les députés ont l’air capables et intéressés. Les spots une fois éteints, l’hémicycle se clairseme et il ne reste à la tribune du public que quelques journalistes et un quarteron d’invités là par obligation de famille et qui attend l’interruption de séance après l’apparition de son grand homme à la tribune pour se défiler.
L’autorité a besoin de mystère, ce qui est différent du secret. Le secret est interdit en démocratie (c’est sans doute pour cela qu’il est si répandu). Le mystère préserve l’autorité, de la divulgation au peuple, de son aspect humain.
Il ne vient à l’imagination de personne que ce beau monde défèque tous les matins.
Y a-t-il plus navrant spectacle qu’un Parlement, comme c’est souvent le cas, quasiment désert, quand un orateur ânonne plus qu’il ne lit, un papier qu’il a auparavant écrit sur sa table de cuisine entre les reliefs de son petit déjeuner ?
On aperçoit l’un ou l’autre malheureux vaquant à ses petites affaires, l’un à droite et l’autre à gauche, tandis qu’au centre un autre se cure le nez. Dans un coin trois autres ont l’air de s’en raconter une bien bonne, tandis qu’au plus bas de la salle, deux ministres s’ennuient visiblement, sans oublier le député qui a déplié carrément un journal derrière lequel il s’est caché. Sans doute ferme-t-il les yeux par le besoin irrésistible que l’on ressent parfois de s’abstraire du néant collectif.
La Belgique avec son bilinguisme rabâché comme une pénitence est le pays inscrit dans la francophonie où l’on écorche le plus le français. C’est que la majorité, celle qui par conséquent représente le pays dans les instances de la francophonie, s’exprime habituellement dans une autre langue qui laisse des traces dans la prononciation de celle de Molière de façon irrémédiable. On a peine à imaginer l’effet qu’a dû produire Jean-Luc Dehaene à la tribune d’une réunion collégiale des pratiquants de la langue qu’il était censé illustrer devant Léopold Sédar Senghor.
Avec le boulet que nous traînons, l’art oratoire n’est plus qu’un souvenir, celui du temps où la Belgique était unilingue et où il se tolérait que l’on parlât flamand dans les cours de ferme, comme le wallon sur les terrils. S’il faut s’en féliciter au nom d’une justice sociale, on peut le regretter depuis que les Flamands se sont mis volontairement à régresser, tandis que les Wallons adeptes de la novlangue s’essayaient aux indigences vocales plus gestuelles que parlées.
Le Parlement wallon touché par l’idiotisme ambiant, s’il est plus truculent que son grand frère, n’est pas pour autant exempt d’une vulgarité devenue générale, qui a pris encore de l’accélération avec la présidence de José Happart, descendu du plateau de Herve, comme une pomme tachée est écartée d’un cageot.

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On peut regretter le parler dru de nos ancêtres, la langue de bois qui lui a succédé, dans le pot-bouille de moins de cinq cents mots qui la composent, est marquée par l’insignifiance du blabla.
La fin du bien dire se situe à la mort de Paul-Henri Spaak. Après, les élus du peule ne le furent pas de Grevisse. Croyant noyer leur nullité dans la volubilité, ils nous accablent d’un ennui ravageur. La preuve, les émissions de télévision où ils paraissent sont les moins regardées et surtout les moins écoutées de l’audiovisuel.
Louis Michel, en une soirée construite au moule de sa personne, a plombé l’audimat de la RTBF pour une semaine.
On peut regretter que le cinéma et la prise de son n’existaient pas du temps de Danton et de Mirabeau. Et que, lorsqu’il a enfin pu recueillir les images et les paroles, une imbécile censure nous ait fait rater la rentrée et la sortie de Léopold III, l’exil en Suisse et l’entrevue avec Adolphe Hitler, l’assassinat de Patrice Lumumba, les émeutes de 60-61 et bien d’autres faits historiques, au lieu de quoi nous n’eûmes jamais que la version filtrée officielle, si bien que nous sommes devenus les idiots bienveillants d’une démocratie moribonde.
C’est d’autant plus inquiétant que la crise actuelle aurait dû passionner les foules et animer les parlementaires du désir d’en découdre. Hélas ! étant du même parti, libéraux et socialistes se sont entendus au Parlement pour un sauvetage unanime des banques et du capitalisme ambiant, sans, évidemment, nous demander notre avis.
Eussions-nous été capables de le donner après l’extinction générale des feux de la critique ?
Ah que la télévision eût été la bienvenue à l’arrestation de Louis XVI à Varenne et aux événements du Neuf Thermidor quand Robespierre monta à la guillotine. Aujourd’hui, elle est performante, alors qu’il n’y a plus rien à voir.
Avouez que c’est pas de chance !

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