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Des chercheurs qui nous les brisent.

Georges Friedmann fonda après 1945 une sociologie du travail humaniste, tout de suite pervertie à son corps défendant par les ingénieurs et les industriels qui virent dans les travaux de Friedmann les moyens d’accroître la productivité, sans débourser un centime de plus.
C’était l’aboutissement d’expériences sur les grandes étapes du behaviorisme, en partant du montage en série des premières Ford, chères à Henri du même nom.
Friedmann fut pendant la guerre 40 un intellectuel marxiste, proche du Parti communiste français. Il consacra la plus grande partie de ses travaux à l'étude des relations de l'homme avec la machine dans les sociétés industrielles de la première moitié du XXe siècle. Là aussi, il se fit piéger par Staline qui suscita dans les entreprises des émules d’Alekseï Stakhanov, ce mineur « de choc » qui, dans la nuit du 30 au 31 août 1935, aurait abattu 102 tonnes de charbon en 5 h 45 minutes.
Quelle est la différence entre une bête de travail socialiste et une bête de travail capitaliste, quand on a à peine de quoi se nourrir dans l’un ou l’autre cas ?
Dans le cas du premier, on travaille pour une abstraction : la patrie et dans l’autre, la banque, pour une dure confrontation entre le capital et le travail. Si bien que Staline faisait marcher les gens à l’illusion d’un collectif détourné, et le banquier par l’utopie que tout le monde peut devenir banquier. Cela faisait et fait toujours deux cocus en un.
Pas découragé pour un sou, malgré l’état du monde, Friedmann, de plus en plus célèbre, étudie les effets du progrès technique sur le travail. Dans une période plutôt encline à l'apologie de la machine, Georges Friedmann porte au contraire un regard critique sur les effets du travail à la chaîne, sans pour autant verser dans la phobie de la technique.
Nous sommes en plein dans les Trente glorieuses. Il faut de la main d’œuvre à tout prix. Les patrons organisent la venue des immigrés du Maghreb à grande échelle, puisque les sources italienne et polonaise en main-d’œuvre sont taries.
Friedmann met en évidence les conséquences de l'OST (Organisation Sociale du Travail), quand elle est gérée conjointement par les détenteurs des capitaux et les détenteurs de l’autorité démocratique. Qu’à cela ne tienne. Le patronat avec la collaboration des nouveaux économistes et des ingénieurs pour l’aspect ‘technique’, plonge Friedmann dans un court bouillon dans lequel mijote déjà Emile Durkheim et Frederick Taylor.
Les tâches sont spécialisées à l’extrême, parcellaires au plus haut point. Elles s’effectuent à cadence soutenue par des OS auxquels on a enlevé toute initiative et tout savoir-faire.
Friedmann n’est pas dupe : le travail à la chaîne réduit en miettes l'activité laborieuse et la vide de sens. Il note que la démotivation et l'ennui éprouvés par les employés s'expriment par un absentéisme et un turn-over en hausse.
Ce qui ne l’empêche pas de faire des conférences, de recevoir des honneurs des pays industrialisés et d’être reçu par des chefs d’entreprise qui l’écoutent attentivement, des fois qu’il leur refilerait sans s’en douter d’excellents tuyaux pour serrer la vis davantage.
En fin de compte, la productivité du travail a augmenté.

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Le prix a payé est incalculable. Les populations immigrées servant de bouche-trous pas chers dans les usines ont fait souche, d’autres vagues plus pauvres encore leur ont succédé. C’est à présent la droite, si friande jadis de main-d’œuvre exotique qui charge un Luc Besson, apostat de la gauche, de parler au « bon peuple » de ce que signifie être Français, tandis que Hortefeux se charge des charters de retour !
Evidemment, Friedmann mort fin des années 70, n’a pas connu les suites apportées à ses recherches par le patronat mondial.
Les loisirs, afin que l'homme puisse se réaliser en dehors du travail, le but ultime qu’il souhaitait approfondir, sont devenus le « Travailler plus pour gagner plus » de l’UMP. Les dénationalisations, pour plus de profit des entreprises à vocation d’intérêt public, sont en passe de démanteler dans une Europe ultraconservatrice, les dernières entreprises gérées pour le collectif de l’Etat social.
Les critiques et les solutions de Friedmann paraissent aujourd'hui évidentes pour ceux qui se sentent asservis par l’organisation du travail. Quoique ayant beaucoup œuvré pour que les résultats de la sociologie du travail soient diffusés auprès du grand public, Friedmann n’y est jamais parvenu.
Bref, voilà un bel exemple d’intellectuel avalé, assimilé, et digéré par ceux qui ont l’art de faire du pognon avec la chair humaine.
Il en sera de même de Max Weber qui analyse le phénomène bureaucratique et Henri Fayol qui cherche les moyens d’une administration optimale dans les entreprises.
L’Ecole des Relations humaines est devenue aujourd’hui un foutoir juste bon à gerber, faisant de l’homme encore debout il y a 30 ans, une sorte de pâte à modeler coulant entre les files de chômage et les intérims sous-payés, pour épouser les formes de la machine, comme s’il en faisait partie.
Le seul qui ait vu clair et qui ne se soit jamais fait manipuler est le regretté Pierre Bourdieu qui a étudié l'impact de la culture sociale sur les comportements individuels en entreprise.
Les approches qui appliquent les concepts et les méthodes psychanalytiques aux organisations du travail relèvent aujourd’hui plus d’une maffia gestapiste que d’une approche de la souffrance au travail. Le contrôle par des médecins d’entreprise de la validité des diagnostics des confrères généralistes, approche plus d’une appréciation à la docteur Josef Mengele que d’une réelle aide à la compréhension des parties.
Et tout cela à cause des pionniers de la recherche d’une société fondée sur la justice et la prospérité !
Il y a des intellectuels qui font froid dans le dos !
La liste des chercheurs n’est pas close. En Belgique, il existe dans les universités une culture bouillonnante d’idées de ce que peut être la sociologie du travail.
Nous avons un aperçu des cuistres que la RTBf et RTL persistent à nous exhiber, les jours de questionnement sur la vie du ver à bois que presque tous les travailleurs sont devenus, en dehors de ces « élites » qui commencent singulièrement à nous pomper l’air.

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