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Vous avez dit, suspect ?

Il a peut-être échappé aux amoureux de la liberté, l’entrée en vigueur au 1er septembre de la loi relative aux méthodes de recueil des données.
Cette formule apparemment sans connotation spécieuse nous concerne tous, comme l’a expliqué le patron de la Sûreté de l'Etat, Alain Winants, aux mandataires communaux, lors d’une séance d’information.
C’est ainsi que Bourgmestres, fonctionnaires communaux et de CPAS, police locale et autres autorités ont été invités dans les bâtiments de l'Ecole royale militaire à Bruxelles afin de mieux cerner leur mission de soutien au service de renseignement civil de l'Etat.
« Ce qui peut sembler anodin pour les autorités locales peut être utile pour nous », a dit en substance le haut fonctionnaire Winants, nommé à ce poste délicat par Laurette Onkelinx lorsqu’elle était ministre de la justice.
Et de poursuivre « Nous ne parlons pas ici d'attitudes illégales, qui doivent faire l'objet d'un traitement judiciaire, mais de comportements interpellants (sic), suspects, qui génèrent un sentiment de malaise chez le fonctionnaire".
Vous avez compris, l’Etat donne mission à l’administration subalterne de dénoncer aux autorités supérieures, toute attitude suspecte de notre part !
Quelques associations ont bien rouspété, c’est tout.
Peu de journaux et encore moins l’audio-visuel ont soulevé quelques problèmes délicats d’éthique qui tiennent à la délation malveillante et au processus de mise sous la loupe des citoyens.
Personne ne s’est posé la question « Qu’est-ce qu’une attitude suspecte ? ». Quelle étrange confiance les Autorités accordent de la sorte à des fonctionnaires et des édiles communaux dans leur capacité de juger d’une attitude suspecte !
Il n’y a pas pire connerie – quand on se veut défenseur de la démocratie – de donner certains pouvoirs à une catégorie de citoyens non habilitée pour juger du comportement d’autrui.
Les exemples de ces flics qui se font juges et parties ont suffisamment défrayé la chronique pour savoir la dangerosité d’un pareil procédé.

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Voilà bien la revanche du citoyen au-dessus de tout soupçon chargé de jauger l’original, le marginal et pourquoi pas l’étranger – surtout Arabe -, le chômeur ou le gauchiste dont le comportement « suspect » serait de nature à perturber gravement la sécurité et l’ordre public !
Peu importe si ce nouvel auxiliaire bénévole de police – dans le milieu on appelle ça une balance – est un singlé, un pervers, un frustré, ou qu’il soit une parfaite crapule sous une défroque d’honnête homme, son renseignement, même finissant à la poubelle, sera traité par d’autres fonctionnaires qui eux, en même temps qu’ils ont un mandat officiel, à l’aide de témoins particulièrement aussi bien disposés, peuvent attirer à n’importe qui, de sérieux ennuis.
Faut-il y voir un symbole ? C’est dans les locaux de l’Ecole Royale Militaire que les nouvelles oreilles de l’Etat ont été instruites.
Seront estimées « suspectes » une personne qui déclarerait plusieurs pertes de document d'identité sur un court laps de temps, un changement dans la manière de s'habiller d'une personne, bénéficiant d'aide sociale, etc. On peut supposer qu’une personne jouissant d’une certaine aisance ne saurait en aucune manière être suspecte.
Quoique cela y ressemble, Winant a bien spécifié "Il n'est pas question de recrutement de nouveaux informateurs, ni de formation d'agents communaux, ni encore d'incitation à la délation". Il rappelle par la même occasion que la collaboration entre la Sûreté et les communes existe depuis longtemps, même si elle n'était pas obligatoire jusqu'à présent. Si je comprends bien cette dernière remarque, ceux que nous élisons dans la douleur de l’isoloir et en qui nous faisons confiance étaient habilités de nous cracher dans la main au moindre doute, ils ne le faisaient pas trop par le passé, ils vont devoir le faire par obligation légale dorénavant !
C’est la première fois qu’un pays averti ses citoyens, qu’à part les milieux aisés, les parlementaires, les hauts fonctionnaires, les personnels de police et de justice ainsi que les mandataires de terrains, en gros un million de personnes au-dessus de tout soupçon, il y aurait neuf millions et des poussières de citoyens potentiellement suspects !
D’ici à ce que bientôt on inclut une sous catégorie parmi les neuf millions dites « des étrangers (1) » plus suspecte encore, il n’y a qu’un pas.
Et dire qu’on vient de donner une leçon de démocratie à la Côte d’Ivoire et au président Gbagbo, afin qu’il démissionne !...
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1. Service qui existe depuis longtemps et qu’on va certainement « muscler », en toute innocence et antiracisme, bien entendu.

Commentaires

Excellent papier mon cher Richard. Les Gestapo, Stasi, Securitate et autres machines du même genre, étaient principalement alimentées par de "simples" fonctionnaires et quelques "citoyens" zélés. Aujourd'hui, avec le Net, les webcam, les GSM super équipés, tout va aller très vite pour que ce qu'avait prévu Orwell, se réalise. Merci de prévenir le citoyen. Personnellement cette info m'avait échappée et comme tu l'écris si bien, peu de gens le savent.

Je risque gros, car je lis le blog de RIII, ainsi que le site d'AlJazeera, L'Echo, La Meuse qui sont comme tout le monde sait des "subversifs"

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