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Le choc des infos…

-C’est quoi, aujourd’hui ?
-Quoi, quoi ?
-Ton blog.
-Je n’en avais pas la moindre idée, avant de déplier « Le Soir ».
-C’est ton réservoir d’inspirations ?
-Les journalistes du « Soir » fréquentent les derniers cafés de Bruxelles où les gens se parlent encore d’une table à l’autre. Ils rapportent fidèlement à M’ame Delvaux ce qu’ils ont entendu. Après, c’est un jeu d’enfant, ils trient les nouvelles des autres pays et les zwanzes d’ici.
-Ça économise les correspondants à l’étranger.
-Par exemple, les nouvelles d’Afrique, ils boivent une bière à la Porte de Namur, au Matongé, ils savent tout mieux que Steven Vanackere.
-…et ils font le marché à Molenbeek pour savoir si ça se calme au Maghreb.
-T’as compris. M’ame Delvaux peaufine en faisant les salons de coiffure de l’Avenue Louise, pour le côté « Ils nous envahissent ». Ainsi, on a une publication pas chère, pas chic, 100 % belge, à la pointe de l’événement mieux que par agence.
-Alors, t’as fait un choix ?
-Attends que je tourne les pages. Voilà, j’y suis « Roger Vangheluwe peut être réduit à l’état laïc ». C’est certainement un scoop du reporter préposé au Sablon.
-Les brocanteurs sont athées ?
-Non. Il rend visite à son vieil oncle aux Ursulines.
-Quel est le rapport ?
-Pour frotter la manche au CPAS socialiste, l’oncle bouffe du curé !
-Tu ne vas tout de même pas défendre ce vieux pédophile de Vangheluwe ?
-Quatre à cinq articles par semaine dans les journaux, rien que pour lui, les maboules vont croire qu’il suffit d’être pédophile pour qu’on parle d’eux.
-Même si c’est trop, Vangheluwe est quand même un beau salaud !
-Personne ne le conteste. Pourtant chaque article prend un bon quart de pages et je ne compte pas les photos. Et puis, ça me gêne quand l’église catholique prend tous les coups…
-Ça gêne personne. T’es papiste, toi ?
-Je suis pour l’équilibre des religions. A 50 / 50. Elles s’observent et viennent pas trop nous emmerder. Avec cette exposition d’immoralité trente ans après le crime, t’as les enturbannés qui vont se croire champions de la vertu, détenteurs de la vraie religion ! Puis, il y a prescription. On ne peut plus rien y faire. Des regrets ? La justice en est pleine, les nouveaux Vangheluwe vont morfler. Ce n’est pas ça qui m’inquiète.
-C’est quoi, alors ?

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-Je me dis que plutôt boire des bières à la cantoche des Ursulines, et dégorger sur papier les haines des vieux mécréants, les boys de Béa feraient mieux d’user leur stratégie à respirer l’air du temps : dans les couloirs du métro, dans les banques, aux alentours du Rond Point Schumann, traîner leurs grolles autour des ministères, s’intéresser à l’économie, à la justice…
-Tu veux dire que tu les souhaites plus près des gens… Mais malheureux, les journaux ne sont pas là pour raconter la vie des gens, pour gratter dans les failles du système, pour découvrir de parfaits dégueulasses. Il y en a déjà tellement au Palais de justice…
-Le malheur est là. T’as des huiles qui mériteraient d’être épinglés au lieu de Vangheluwe.
-Ah ! bon, en plus des combines, ils sont tous pédophiles aussi ?
-On a fait le plein des abuseurs de la jeunesse. Reste tous les abuseurs de l’âge du dessus. Les contrats à la con, les engagements bidons, le mépris de la foule, les entourloupettes bancaires, le triomphe de « tout pour moi, rien pour les autres », les fausses factures, le travail au noir.
-Tu ne crois tout de même pas que le Soir va s’attaquer seul au système ? Côté biseness la crapule est sous contrôle, autorisée qu’elle est, mieux… souhaitée !
-C’est là qu’on voit combien l’humour des fonds de café nous manque, la désinvolture d’un Allais, les coups de gueule d’un Bloy ou d’un Rochefort. Eux aussi, pour bouffer, cantinaient à la porte des industriels, sonnaient aux portes des directions malodorantes ; mais, mine de rien, la crapulerie triomphante et impunie recevait, tôt ou tard, son paquet.
-Pourquoi, ça a changé ?
-Moins on tolère l’esprit et la fantaisie critique, plus les sphincters se serrent. Et tu sais qui est responsable du panurgisme apeuré ?
-Non.
-Les écoles de journalisme, pardi… ces hautes études du parler pour ne rien dire, ces chieurs de texte le petit doigt sur la couture du pantalon… Et puis, finalement, on s’en fout… demain, eux comme les autres, se seront des écoles à chômeurs. Et c’est ça qui est rageant. La seule façon de sauver la presse : que ceux qui la font ouvrent leur gueule, même pour dire des conneries… qu’ils tiennent pas les vestiaires, nom de dieu, qu’ils aillent aux réunions.

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