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Le non-être n’est toujours pas…

« Thalès était tombé dans un puits, tandis que passionné d’astronomie, il regardait en l’air, une petite servante thrace, toute mignonne et pleine de bonne humeur, se mit, dit-on à le railler de mettre tant d’ardeur à savoir ce qui est au ciel, alors qu’il ne s’apercevait pas de ce qu’il avait devant lui et à ses pieds ! Or, à l’égard de ceux qui passent leur vie à philosopher, le même trait de raillerie est assez bien à sa place ; c’est que, en réalité, l’homme qui est de cet acabit ignore de son prochain, même de son voisin, non pas seulement ce que fait celui-ci, mais encore, ou peu s’en faut, si c’est un homme ou quelque autre créature. »
C’est assez bien vu par Platon dans un dialogue dans lequel il met en scène Socrate qui discute avec le jeune Théétète d'Athènes.
En Art comme en politique, on ne voit que des artistes consommés qui savent tout, qui préconisent une meilleure manière de bousculer les choses, de changer la vision du monde, de faire des merveilles avec trois fois rien et qui finissent par tomber dans le ridicule ou l’odieux, à la suite d’une prétention excessive ou au retour inopiné d’un naturel en contradiction avec l’apparence.
La distraction est l’excuse élégante d’un manque d’attention à l’égard du genre humain.
Avital Ronell dans son livre « Stupidity » emploie la citation de Platon à propos de son chapitre « La figure du philosophe ridicule ». Dans son délicieux exposé sur le ridicule de Kant, elle y fait un bref détour sur le romantisme allemand et de son théoricien Friedrich Schlebel.
C’est une période faste pour la philosophie et, encore aujourd’hui, on en fait des tonnes sur ce que ces hommes ont fait de leur vie « intimement liée ou faisant partie de leurs œuvres ».
Comparé à Bataille, Friedrich Schlebel commit un roman « Lucinde » jugé immoral. Ça se passait dans les années 1800. En 2011 le scabreux et l’érotisme torride de « Lucinde » ne ressortent plus du même état d’esprit. Même si elle n’avait pas été traduite de l’allemand en termes rares et littéraires, l’œuvre paraîtrait écrite à l’eau de rose et sans doute moquée, sous nos préaux du second degré.
Sous couvert de vertu la société allemande comptait parmi ses membres Henriette Herz, les deux filles de Mendelssohn et d’autres jeunes femmes. Henriette Herz noua d’abord une intrigue amoureuse avec Guillaume de Humboldt, puis avec Schleiermacher, cet apôtre d’un nouveau christianisme. L’hôte assidu du salon Herz, Frédéric Schlegel, courtisa Dorothée Mendelssohn, qui était mariée. Schlegel l’était aussi. C’est à ce moment que Schlegel publia son roman « immoral » Lucinde, où il allie la sagesse à une complète licence de conduite et où il approuve l’adultère.

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Schlegel devait sans doute être traumatisé avec deux femmes sur les bras. Comme quoi, s’il est facile de philosopher sur toute chose, il devient quasiment impossible quand on a du tempérament, de poser à la vertu en plein questionnement sur sa propre sexualité.
Lucinde, c’est Dorothée. Elle finit par quitter son riche mari banquier. Ils vécurent quelques temps dans l’adultère, puis les situations se légalisant, divorcés, ils finirent par s’unir dans des liens officiels.
A peine rentrés dans la « normalité sociale » le philosophe et Dorothée sombrèrent dans la bigoterie à la suite d’une crise religieuse qu’elle lui inspira, en expiation de leurs moments d’égarement passés.
C’est une histoire assez banale dans une époque marquée par les règles d’une société rigide d’apparence. Les cavaleurs et les lionnes ne se privaient pas d’être secrètement, le contraire de ce qu’ils montraient.
Quant au discours social, pourtant d’actualité en Europe après la Révolution française, le romantisme allemand souffrit du « Deutschheit » (caractère allemand) au point que Schlegel, devenu directeur d’une fabrique par la grâce de Metternich, son protecteur, devint rapidement odieux avec les ouvriers ! Il fallut le remplacer.
Pourquoi de nos jours faire tant d’histoires à propos de la vie « exemplaire » de ces philosophes ? Kant était un emmerdeur qui écrivait comme un cochon, dixit Heine et Nietzsche. Il vivait suspendu à sa pendule et comme au ralenti. Schlegel était un débauché devenu bigot en épousant sa maîtresse. Lessing, spinoziste béat, Novalis, Fichte, Schelling et même Schiller que Schlegel rencontra à l’âge de vingt ans, sans oublier Goethe, avaient tous un point commun, celui de courir après les honneurs et l’argent, les places auprès des princes et les chaires d’université, tant de fois sollicitées auprès des grands que cela en est gênant pour l’historien. Et je ne cite que les philosophes ayant vécu à cheval sur les deux siècles littéraires les plus féconds, en Allemagne.
Alors, si on commençait par descendre cette statuaire des piédestaux ?
Enfin, si nos universités reprenaient tout à zéro, on aurait moins de cons qui en sortiraient.

Commentaires

Quel tartine pour en arriver à une telle conclusion !!!!


« Thalès était tombé dans un puits, tandis que passionné d’astronomie, il regardait en l’air, une petite servante thrace, toute mignonne et pleine de bonne humeur, se mit, dit-on à le railler de mettre tant d’ardeur à savoir ce qui est au ciel, alors qu’il ne s’apercevait pas de ce qu’il avait devant lui et à ses pieds ! Or, à l’égard de ceux qui passent leur vie à philosopher, le même trait de raillerie est assez bien à sa place ; c’est que, en réalité, l’homme qui est de cet acabit ignore de son prochain, même de son voisin, non pas seulement ce que fait celui-ci, mais encore, ou peu s’en faut, si c’est un homme ou quelque autre créature. »
Ne seriez vous pas de cet acabit? ...

Ma foi, c'est bien possible puisque vous le dites !
Je crois même que vous venez de m'en convaincre.
Grâce vous en soit rendue !

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