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Auguste Comte et la mondialisation.

Auguste Comte pensait que l’organisation méthodique de la société selon un plan positiviste aboutirait à donner à chacun une place proportionnelle à ses capacités et réaliserait ainsi la justice sociale.
Il y a beaucoup de fantasmes personnels dans la société idéale d’Auguste Comte, imaginée depuis une réflexion intimiste, plutôt qu’observée autour de lui. L’angélisme d’une philosophie fondant en un tout harmonieux, justice sociale et capacité, est plus le fait d’un rêveur que d’un sociologue.
Comment a-t-il pu penser un seul instant que les individus seraient tous convaincus d’être à leur juste place ?
Il entre beaucoup d’optimisme dans cette vue, d’autant qu’à la lumière d’aujourd’hui, on ne peut pas dire que la société de Comte ait une chance de se réaliser, de ce qui ressort de l’évolution sous nos yeux : compétition acharnée, propension à se découvrir victime d’une injustice, jalousie, ego surdimensionné, consumérisme compulsif, etc.
Nous ne sommes pas si éloignés du passé, au cours duquel la naissance et la fortune étaient indissolublement liées au pouvoir (nous y retournons !).
Par une curieuse courbe de plus d’une centaine d’années, nous sommes quasiment revenus au temps au cours duquel Zola écrivit Germinal, sous l’aspect des conditions de travail, surtout dans le manque de conditions morales, avec un contrat d’aliénation bizarre au nom duquel un homme loue sa force de travail à un autre, pour un salaire déterminé, sans aucune possibilité de faire autre chose que ce qu’on lui dit de faire, dans les conditions déterminées par l’employeur ou ses substituts.
L’aptitude et la résistance physique au travail, comme l’organisation pensée de celui-ci, ne déterminent toujours pas la place de chacun. Mieux, le pouvoir d’en discuter le prix et la forme dans l’exécution du contrat ne lui appartiennent plus ou presque plus. Le salaire qu’il ne peut plus négocier selon les vues de Comte, dans la perspective « d’une place proportionnelle à ses capacités », est parmi les premiers écueils ignorés.
Un sociologue anglais, Michael Youg (ne pas confondre avec le pseudo comique français) a ironisé sur la méritocratie et à l’idée qu’Auguste Comte s’en faisait.
Son raisonnement prouve en effet que si chacun avait une place proportionnelle à ses capacités, ceux qui occupent les places des derniers rangs seraient acculés au désespoir, car ils ne pourraient accuser ni le sort, ni l’injustice.
Or, la première injustice que n’a pas vue Comte, c’est bien de ne compter pour rien le travail et les qualités qui ne peuvent s’échanger ou se comparer avec d’autres formes de travail. Si l’on excepte quelques philosophes, écrivains, artistes ou inventeurs, qui ont réussi à échanger ce qu’ils font pour de l’argent, conférant ainsi à leurs œuvres une valeur marchande, combien de brillants esprits, d’hommes éminents qui feront bouger les lignes du futur ou changer la signification de l’art seraient condamnés à partager le sort des derniers rangs ?
Si tous les hommes étaient convaincus de la justesse de l’ordre social, celui-ci serait d’une certaine façon insupportable (1) …à moins que les hommes ne soient convaincus en même temps, grâce au positivisme du sociologue, que la hiérarchie des qualités d’échange entre les fabrications ou les services des hommes, est sans effet à côté des mérites du cœur et de la hauteur des sentiments.
Ce qui fait dire à R. Aron, ancien condisciple de Sartre (2) « il n’est pas facile de convaincre l’humanité que l’ordre temporel est secondaire ».
Auguste Comte reprend à Condorcet l’idée que le progrès de l’esprit est le fondement du devenir des sociétés humaines, la coordination rationnelle des divers événements d’après un dessein unique, n’est pas pour demain.
La mondialisation n’est pas précisément le chemin qu’aurait choisi Auguste Comte pour former un tout cohérent ouvrant le monde à la justice sociale. Et pourtant, la mondialisation obéit à la condition de Comte pour y parvenir, puisque ce concept se veut rassembler sous une même loi, l’ensemble des hommes régis par les mêmes données économiques.

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Sauf que ce rassemblement est immoral et que les lois ainsi énoncées n’ont trait qu’à la capacité des uns d’accroître leur pouvoir sur les autres, moyennant quelques mystifications d’achats et de ventes, qui sont finalement aux antipodes de la peine et du travail des hommes.
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1. Les étapes de la pensée sociologique, Raymond Aron, in Bibliothèque des Sciences, Edit. Gallimard.1967.
2. Ils finiront brouillés et adversaires de classe.

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