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Marie Bashkirtseff.

Tous ces jours furent des adieux !...
Le journal de Marie Bashkirtseff ( Мария Константиновна Башкирцева, née près de Poltava, en Ukraine (Empire russe) le 11 novembre 1858 et morte à Paris le 31 octobre 1884, est le reflet d’une âme singulière, celle d’une jeune femme fantasque, perpétuelle amoureuse, dont l’amour le plus fort, elle le consacra définitivement à... elle-même, à sa beauté, sa jeunesse, son talent !
Ce qui frappe dans l’écriture de cette diariste, c’est sa spontanéité, sa candeur et sa rouerie à la fois, c’est comme si vous veniez de quitter la belle Maria, enfant gâtée de l’aristocratie russe, alanguie prenant la pose sur un sofa du salon, image bien conforme à ce que la bonne société attendait d’elle, et qu’elle lui rendit bien. Mais dans l’intimité de ses carnets, surgit une autre jeune femme. Ainsi son œuvre donne une image d’elle que ses contemporains ne connaîtront pas. C’est un privilège du seul lecteur d’aujourd’hui. Et c’est une surprise.
Qui en-dehors du lecteur, peut en dire autant ? Supériorité du lecteur même, sur l’homme du jour de Maria, puisque celui-ci ne connaîtra pas la pensée intime de la jeune femme, derrière les mots attendus.
Elle est un peu comme Sartre évoquant le Swann de Proust « ...dire que j’ai gâché ma vie pour quelqu’un qui n’était pas mon genre ».
Pas sûr que ces carnets publiés ne soient pas un viol, puisqu’on ignore si Marie Bashkirseff les a écrits pour elle-même ou pour la postérité. Postérité ! mot valise qui contient à la fois les proches de Maria qui se sont emparés des cahiers, les ont maltraités jusqu’à ce qu’ils aient été épurés de tout ce qui pouvaient contrarier leur réputation, et le lecteur de 1905 qui rentre chez lui un livre quelconque sous le bras. Il faudra attendre l’édition de 1991 pour lire le vrai journal.
Les mémoires qu’un auteur n’a pas l’intention de publier sont d’une incomparable supériorité sur les autres. Ils naissent du plaisir d’écrire dans la satisfaction ou le remord des petites actions de tous les jours. Quand tout cela est imprégné de sincérité, on a de l’auteur un portrait plus ou moins conforme de ce qu’il a été.
Reste alors au lecteur à s’émouvoir du destin tragique d’une jolie femme, intelligente, cultivée, avec des dons certains pour la peinture et l’écriture et morte à 25 ans de tuberculose ou d’abandonner le livre sur un rayon de bibliothèque l’ayant seulement feuilleté et abandonné, au motif que cette aristocrate en villégiature perpétuelle était le rejeton d’une famille qui vivait du travail des esclaves dont les jours étaient réglés à coups de knout.
Marie Bashkirtseff était à la fois cela et quelqu’un d’autre, une personne lucide et détachée par son côté « artiste », des mondanités et des horreurs grâce auxquelles ces parents tiraient leur fortune.

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Le talent ne peut pas tout. Marie était aussi féministe, linguiste et on ne peut qu’être attristé par une vie si brève, fauchée en ses débuts et laissant tant de promesses inabouties.
A part une ou deux toiles d’elle pendues aux cimaises du musée d’Orsay (quand même !), son mausolée monument national au cimetière des Buttes Chaumont, il reste ses carnets publiés dans leur intégralité, dont les originaux gisent à la Bibliothèque nationale de France. Chance de Maria, ses héritiers avaient cru bien faire en les expurgeant, des conservateurs les ont trouvé bien plus intéressants dans leur état premier.
Malchance de Flaubert, mort quatre ans plus tôt et dont la nièce héritière détruisit une partie de la correspondance et surtout les lettres de sa maîtresse, Louise Colet.
On laisse trop souvent des héritiers décider du sort de choses qui les dépassent, voire dans certains cas, du droit de procéder à une seconde mort, n’étant pas maître de la première.
On peut aussi se dire de gauche, avoir horreur des injustices, les combattre par les moyens dont on dispose – souvent dérisoires - mais incapable d’en vouloir à quiconque est d’un autre bord et d’un autre milieu, dans sa qualité essentielle d’être avant tout un être humain.
On peut crier vive la Commune (1871) et détester les prises d’otages et les forfaits dont certains communards se sont rendu coupables.
On peut aimer Marie Bashkirtseff, tout en déplorant qu’il y eut certainement quelque part sur les vastes propriétés de la famille, une petite paysanne aussi douée qu’elle, peut-être même davantage, et dont le destin fut d’arracher au sol gelé, les trois pommes de terre de sa survie

Commentaires

Belle conclusion, émouvante.

C'est dramatique. Aussi douée. Plus? C'est une question nulle. Désolé. C'est comme Mozart qu'on assassine. C'est une démarche bourgeoise et idéaliste. Ça n'a rien à voir avec le communisme.

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