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Le nègre et l’art de dire

Les « grands » ne le sont pas tout seuls en ce troisième millénaire. Ils ont des staffs avec des assistants aux petits soins, comme des soigneurs au bord d’un ring, prêts à tendre le tabouret sous leur boxeur, à lui enlever son protège dents et à l’éponger avec de l’eau fraîche.
Di Rupo, par exemple, a été suivi par une petite blonde pendant 541 jours de palabres. Elle avait tous les dossiers, lui avait une veste négligemment jetée sur l’épaule. Elle s’asseyait à la droite de son négociateur et semblait plus au courant de tout que lui.
A la sortie, c’est lui que la presse attendait. La petite blonde s’était évaporée. Eût-elle été entreprise par un journaliste non conformiste ? Elle se fût réfugiée dans le silence.
Personne jamais n’a entendu le son de sa voix. Qu’est-elle devenue ? Sans doute aspirée dans le cabinet du sieur Di Rupo, dans les zones des 15 à 16 mille patates, pour services rendus. Pourquoi pas après tout, c’est elle qui a fait le job et c’est l’autre qui s’est fait reliure !...
Le public s’y trompe. Il attribue les honneurs à celui qui parle haut.
Sur les estrades, Di Rupo lit un texte qu’on ne voit pas de la salle, le pupitre de la tribune légèrement incurvé nous masque le papier du speech. On ne sait pas si le texte est de lui, ou d’une autre petite dame blonde assise au dernier rang, tremblante comme un auteur de théâtre qui écoute jouer sa pièce, prenant les applaudissements pour elle....
Parlons-en des nègres qui interprètent la pensée des autres, en y ajoutant un peu d’eux-mêmes dans les métaphores.
Di Rupo doit compter sur un bon traducteur lorsqu’il ânonne du flamand à la tribune de la Chambre ou ailleurs. Il n’est de toute évidence pas capable d’écrire quelque chose de propre, au sens grammatical du mot, en flamand. Il a donc un nègre-traducteur. Peut-être en a-t-il un autre pour l’orthophonie, et un troisième pour son début de logocophose (surdité verbale).
Officiellement, on ne lui en connaît aucun.
L’homme est tellement prétentieux et jaloux de sa réussite, sous des apparences humbles, qu’il est bien difficile de le savoir… et comme en Belgique, les journalistes ne sont pas du tout curieux du travail des collaborateurs, on n’en saura rien.

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Par contre, en France, tout le monde sait que le nègre de Sarkozy s’appelle Henri Guaino. On peut détester le président, mais il faut lui accorder une certaine latitude à laisser ses nègres recueillir une partie de ses lauriers.
Henri Guaino est le seul qui, à Villepinte, a écrit deux discours, le sien et celui de Nicolas Sarkozy. L’homme est attachant, bourré de tics, la parole hésitante, le regard fuyant. On voit bien que ce n’est pas un être flamboyant, un matamore de scène, comme peut l’être son patron. Dans la bouche du président le texte du pauvre diable retrouve des couleurs.
Henri Guaino est un écrivain qui gagne son pain en se glissant dans la peau des autres.
A Villepinte le contraste était grand entre l’éloquence du président et son présentateur. La voix de Guaino ressemblait à celle de Malraux célébrant l’entrée des cendres de Jean Moulin au Panthéon ! Aussitôt après, Sarko donnait du relief à son discours. On aurait dit deux auteurs usant de rhétoriques différentes.
C’est à cet exercice de haut vol que l’on comprend pourquoi Di Rupo enterre farouchement ses collaborateurs dans un anonymat dont nous payons les services.
Di Rupo n’a aucun talent d’orateur. Chez lui, c’est la voix qui est terrible ! Dès qu’il entre dans les aigus, son caractère féminin prend le dessus. Il se féminise avec ce que l’on appelle ordinairement une voix de fausset. Or, la voix est importante dans le discours. La respiration et le temps de pose entre les moments forts, c’est tout l’art de dire. Voyez Mélanchon, c’est un chef-d’œuvre du genre, bien supérieur encore à Sarkozy.
Di Rupo n’est pas servi par la voix – il n’y peut rien – ni par son vocabulaire assez réduit. Ce n’est pas avec lui qu’on prendrait la Bastille ! La répétition de certains mots clés, à côté de phrases mieux construites, laisse penser qu’il rature les discours qu’on lui prépare, y ajoutant par l’effet de sa prétention, des expressions trop attendues, des mots qu’il ne peut s’empêcher de prononcer et qui sont comme des ratures de son nègre inconnu.
Il ne regarde pas franchement l’assistance et chose terrible au théâtre comme à sa tribune, il sourit à l’avance de ses propres mots. Il attend quelques secondes, sûr de son effet, puis sort une malheureuse petite vanne. Il termine en prenant un air malicieux, comme s’il disait à la salle « voyez comme je suis malin » !
L’autre loustic qui rit en scène, c’est François Pirette. Ah ! comme il s’aime, lui aussi.
Gâté par son public des mutuelles et des sections locales qui boivent ses paroles et rient à l’avance de sa prétention aux mots d’esprit, Di Rupo ne se rend pas compte que, sur une scène de variété, il serait probablement sifflé.
J’attends avec délectation son discours du premier mai. Je crois que les spécialistes du langage et des attitudes dans le discours vont se régaler.

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