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Est-ce bête !

On devrait ne pas avoir honte de relire ses classiques.
C’est ainsi qu’on apprendrait – à la suite du blog d’hier sur le travail « dégradant » - pourquoi la plupart des gens s’en contentent et même s’en font une gloire, par la seule lecture d’un passage de « L’anneau d’Améthyste » d’Anatole France.
Je ne résiste pas au plaisir de le reproduire ci-dessous.
« Madame Bergeret tira de ce travail quelque avantage moral.
Le labeur est bon à l’homme. Il le distrait de sa propre vie, il le détourne de la vue effrayante de lui-même ; il l’empêche de regarder cet autre qui est lui et qui lui rend la solitude horrible.
Il est un souverain remède à l’éthique et à l’esthétique. Le travail a ceci d’excellent encore qu’il amuse notre vanité, trompe notre impuissance et nous communique l’espoir d’un bon événement. Nous nous flattons d’entreprendre par lui sur les destins.
Ne concevant pas les rapports nécessaires qui rattachent notre propre effort à la mécanique universelle, il nous semble que cet effort est dirigé en notre faveur contre le reste de la machine.
Le travail nous donne l’illusion de la volonté, de la force et de l’indépendance. Il nous divinise à nos propres yeux. Il fait de nous, au regard de nous-mêmes, des héros, des génies, des démons, des démiurges, des dieux, le Dieu. Et dans le fait on n’a jamais conçu dieu qu’en tant qu’ouvrier. »
C’est toute la science de nos suborneurs enrichis et de nos politiciens canailles de nous confondre à madame Bergeret.
Ainsi, ils assimilent ce qu’ils font au travail que nous faisons, alors qu’il est d’une toute autre nature.
Depuis que le pays est entré en récession, ils se comparent à nous et voudraient que nous les croyions lorsqu’ils nous disent que leurs souffrances sont égales, sinon supérieures aux nôtres.
Et c’est réussi. Nous les croyons et nous sommes honorés qu’ils souffrent aussi à nos côtés, alors que leurs moyens pourraient aisément les en dispenser. Ce qu’ils font tous en cachette de nous, évidemment.

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Revenons à notre cher Anatole. Il va devant vous et devant nos économistes d’Etat remettre les laborieux calculs sur la dette et les remboursements à leurs justes niveaux.
« …tant que l’Etat se contente des ressources que lui fournissent les pauvres, tant qu’il a assez des subsides que lui assurent, avec une régularité mécanique, ceux qui travaillent de leurs mains, il vit heureux, tranquille, honoré. Les économistes et les financiers se plaisent à reconnaître sa probité. Mais dès que ce malheureux Etat, pressé par le besoin, fait mine de demander de l’argent à ceux qui en ont, et de tirer des riches quelque faible contribution, on lui fait sentir qu’il commet un odieux attentat, viole tous les droits, manque de respect à la chose sacrée, détruit le commerce et l’industrie, et écrase les pauvres en touchant aux riches.
On ne lui cache pas qu’il se déshonore. Et il tombe sous le mépris sincère des bons citoyens. Cependant la ruine vient lentement et sûrement. L’Etat touche à la rente. Il est perdu.
Nos ministres se moquent de nous en parlant de péril clérical ou de péril socialiste. Il n’y a qu’un péril, le péril financier ». (L’orme du Mail)
Pourquoi sommes-nous tous, sitôt avec trois sous devant nous, prêts à gober toutes les mouches et dévorer nos propres enfants, pour conserver ces misères qui deviennent notre misère ?
C’est Octave Mirbeau qui conclut par un texte que l’on trouve dans « Le journal d’une femme de chambre ».
« L’adoration du million !... C’est un sentiment bas, commun non seulement aux bourgeois, mais à la plupart d’entre nous, les petits, les humbles, les sans le sou de ce monde.
Et moi-même, avec mes allures en-dehors, mes menaces de tout casser, je n’y échappe point… Moi que la richesse opprime, moi qui lui dois les douleurs de mes vices, mes haines, les plus amères d’entre mes humiliations, et mes rêves impossibles et le tourment à jamais de ma vie, eh bien, dès que je me trouve en présence d’un riche, je ne puis m’empêcher de le regarder comme un être exceptionnel et beau, comme une espèce de divinité merveilleuse, et, malgré moi, par-delà ma volonté et ma raison, je sens monter du plus profond de moi-même, vers ce riche, le plus souvent imbécile et meurtrier, comme un encens d’admiration… Est-ce bête ?... Et pourquoi ?... pourquoi ? ».
Voilà, vous et moi avons fait le tour.
Avec ces trois extraits, vous savez tout sur vous-même et sur moi. Vous êtes parfaitement au courant des mesures que prendront Elio Di Rupo et le gouvernement, en même temps vous croirez qu’ils agissent pour notre bien à tous et vous les applaudirez, vous ferez des sacrifices pour le bien de l’Etat et pour l’entreprise qui vous occupe. Vous aurez le sentiment de travailler pour vos enfants et d’être un bon patriote.
Est-ce bête !...

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