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La visibilité.

Rien n’est moins sûr qu’un mérite, un talent, un esprit inventif, trouvent la renommée et la rémunération qu’ils méritent dans la société marchande. Les titres des journaux convainquent le lecteur à eux seuls que le jugement qui fonde les distinctions sociales est plus souvent une aberration contre l’éthique et la logique, qu’un choix correct.
Nathalie Heinich (1) a réfléchi sur la notoriété en « régime médiatique ».
Pourquoi les valeurs « nouvelles » remplacent-elles celles qui les ont précédées, et conduisent-elles au bouleversement actuel ?
Et d’abord la visibilité, pour quelle raison cette visibilité est-elle devenue une valeur ? Pourquoi un ticket de métro utilisé par Zidane vaut davantage que s’il était encore utilisable ?
Pourquoi cette étrangeté qui donne un tour d’avance au détenteur de cette visibilité, rend-elle perplexe ?
C’est quoi, finalement une star ? (2)
L’édition est vampirisée par des gens dont le seul talent est la notoriété. Les meilleurs contrats, au point que certains éditeurs ne s’en sont jamais remis, sont destinés à des auteurs dont le signe de ralliement est qu’ils ne savent pas écrire, et que c’est un nègre journaliste qui tient leur plume. Ils ne nous racontent que ce que les journaux ont écrit sur eux en long et en large, dans un style nul à chier, et qui se vendent à cent mille exemplaires !
Nathalie Heinich oppose Castaldi à Platon, comme elle pourrait mettre sur un ring Tapie et Voltaire. Qui de nos jours connaît Platon ou Voltaire ?
Quand la visibilité est la règle, le talent est superfétatoire, décentré, obsolète. Mieux, le reconnaîtrait-on encore, dissimulé derrière l’écran que font les autres ?
Pensez-vous sérieusement que si vous aviez écrit les œuvrettes de Valéry Giscard d’Estaing vous seriez admis à l’Académie française ? Comment le successeur au fauteuil de VGE fera-t-il pour vanter l’auteur de « La princesse et le Président » ? Avez-vous essayé de lire PPDA dans ses fictions romancées ? Et j’en passe comme « Hemingway la vie jusqu’à l’excès » et ses 120 pages recopiées mot pour mot d’un auteur anglais ! Oseriez-vous envoyer un pareil manuscrit à un éditeur chinois ?

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L’auteure évoque un cumul de trois caractères de la visibilité : « l’être visible est reconnu au sens où, quand le public voit l’original, il reconnaît sa photo ; l’être visible est plus reconnu qu’il ne reconnaît les autres ; il jouit, en raison de cette dissymétrie entre le nombre de gens qui savent qui il est et le nombre de gens qu’il connaît personnellement, d’un capital immatériel (3) ».
Cette notoriété par la visibilité est transmissible. L’auteur cite de nombreux exemples, Gainsbourg et sa fille et son ex épouse. La politique fourmille de transmission de notoriété identique Jean-Marie et Marine Le Pen, les Michel Louis et Charles, etc.
La rareté de l’offre de celui qui est connu de tout le monde, alors qu’il ne connaît que très peu de monde, augmente la valeur que lui supposent les gens.
Dans le domaine du football, un « bon » joueur est connu dans l’immédiateté par 50.000 spectateurs. Il ne l’est parfois que brièvement, mais souvent pour toute une carrière. On le photographie en-dehors du stade, quand il se marie ou quand il est surpris dans un bar. On lui demande de philosopher sur la politique, le monde du sport et lorsqu’il sait à peine s’exprimer, un intervieweur adroit finit par lui suggérer des réponses intelligentes.
Zlatan Ibrahimovic, est-il un des meilleurs joueurs de la planète football, parce qu’on lui offre plus d’un millions d’euros par mois ou inversement ?
La renommée va si loin qu’on a demandé à une jeune femme au sortir de l’émission « Loft Story », ce qu’elle pensait du mouvement général de l’humanité !
C’est encore Andy Warhol qui résume le mieux la connerie de ce tourbillon médiatique de visibilité « Je suis surtout connu pour ma notoriété. »
En prolongeant cette visibilité comme le ferait un projecteur sur le monde politique, on est saisi de toute la subjectivité qui préside aux destinées des démocraties. C’est étonnant comme ce qui est grave et important repose sur le superficiel, le gadget et l’incompétence secrète !
Ce n’est pas demain que nous serons capables de distinguer les vraies valeurs des fausses.
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1. De la visibilité, Nathalie Heinich, Sciences Humaines, Gallimard, 26 € (Prix France)
2. Idées, sociologie, Marianne n° 781.
3. Marianne n° 781, page 90.

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