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La rançon du progrès.

On conserve des incunables depuis environ 1450, dont le plus célèbre est la bible de Gutenberg. J’ai chez moi un livre imprimé en 1627 à Rotterdam, parfaitement lisible sur papier d’Arches à vergeures. Je ne parle pas des manuscrits vieux de mille ans et que l’on peut lire encore dans les bibliothèques et les musées.
Le système typographique avec les caractères en plomb a tenu depuis le XVme siècle, pour disparaître presque complètement à la fin du siècle dernier. Les cinq siècles de bons services furent balayés en moins de vingt ans par l’électronique, les supports d’ordinateur de toute sorte, pour des lectures sur écran.
Pouvoir conserver une importante bibliothèque sur un disque dur d’un volume comparable à un étui à cigarettes est proprement révolutionnaire.
Mais a-t-on bien mesuré toutes les conséquences de cette miniaturisation des supports sur les savoirs et des connaissances ? Par exemple, est-on certain de pouvoir conserver intacts ces savoirs et ces connaissances cinq siècles durant sans aucune altération ?
Autrement dit, allons nous transmettre aux générations futures des textes et des images sur des supports qui auront vieillis et altérés à jamais leurs contenus ?
Mais, cet « incommensurable » progrès a en lui bien d’autres inconnues, qui regardent l’homme en général et les utilisateurs en particulier des nouvelles technologies.
A commencer par l’influence qu’à Internet sur notre réflexion et notre capacité de concentration, est-ce que cette influence va changer notre façon de penser et d’observer le monde ?
Je soupçonne fort certains écrivains, comme Amélie Nothomb qui dit écrire encore à la plume ou tel cliché d’un autre qui tape ses manuscrits sur une vieille Remington, d’être de fichus menteurs pour se donner un genre.
C’est bien trop commode d’écrire sur un clavier d’ordinateur pour l’ignorer, voire « résister » à cette facilité.
Revers de la médaille, faire faire par la machine des choses simples allège l'effort de l'homme, lui demander de corriger l’orthographe des utilisateurs en est une autre. De là, de fil en aiguille, on abandonne à la machine une partie importante de ses facultés intellectuelles, jusqu’à consulter Wikipédia à n’importe quel propos, au point que l’arbitrage personnel, entre ce que l’on sait et ce que la machine vous apprend, finit par jouer en faveur de la machine, même quand celle-ci s’expose à des critiques que vous auriez dû soulever et que vous n’avez plus.
Qui n’a pas ressenti au moins une fois la désagréable impression que quelque part on tirait les ficelles à sa place, qu’on bricolait des trucs et des machins sur son cerveau ?
Ainsi en gros, se définit un autre que soi, selon des critères parfaitement identifiables comme étant les normes en usage, un « penser convenable » en quelque sorte, sur l’économie de marché, la démocratie, et même l’amour, et les sentiments en général.

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L’esprit ne disparaît pas, mais il change, sous influence.
A l’inverse du « bien penser » occidental, se délivre aussi un message moins généraliste, mais qui est aussi une façon de « bien penser » d’une autre manière. Ce n’est pas par hasard que les intégristes recrutent les djihadistes pour leur guerre contre l’Occident sur Internet.
Depuis l’abandon du livre papier, l’éclosion des livres électroniques, des ordinateurs aux millions de connections, je ne pense plus de la même façon qu’avant. C’est par la lecture que ça me saute aux yeux, si je puis dire.
Avant, je saisissais toutes les occasions de lire : dans les cabinets d’attente chez le dentiste, en train, chez un ami, curieux des magazines et des livres que d’autres lisent. Cela ne m’avait jamais causé aucune difficulté.
Je n’ai plus l’attention que je portais à la plus insignifiante lecture, comme des slogans publicitaires et des articles sur les sujets desquels j’étais aux antipodes. Je perds de ma concentration. Il m’arrive même de ne plus comprendre ce que je lis, tant par avance, je me dis que c’est sans intérêt ou que cela ne me concerne pas. Or, pour l’esprit curieux, spéculatif et critique, tout est intéressant et recèle sous les mots, un motif caché.
On dirait que depuis l’ordinateur, mon cerveau se repose, paresse, se laisse conduire, idem de ma mémoire qui n’a pas besoin de se mettre en éveil, puisqu’il y a le réflexe d’un clic et d’une réponse.
Lire un livre est devenu presque une contrainte. Je dois lutter contre moi-même !
Au fur et à mesure que la machine à mon service est plus « intelligente », c’est clair, je m’abêtis !
Je paie cash, la rançon du progrès !

Commentaires

Mais oui mon cher Richard, comme vous l'avez si bien écrit...la rançon du progrès..Dard n'est plus la pour vous contredire, mais il tapait ses textes avec deux doigts tordus sur sa vieille machine et je connais encore un ami journaliste qui a bien du mal a devoir rédiger ses chroniques sur PC afin de pouvoir les transmettre dans les délais vers son journal...

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