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Révolte !

Dès l’aube, c’est la ruée à l’assaut du pain quotidien.
Un camion en fines manœuvres et voilà tout de suite dix , douze, quinze automobilistes coincés derrière, pestant, râlant contre l’impossible guimbarde, la manœuvre douteuse, l’incroyable piège à cons qui fait qu’on sera en retard à la pointeuse.
- Cinq minutes après huit, monsieur Apalan c’est une heure décomptée.
- Mais, c’est injuste.
- Je sais. Mais c’est comme ça.
Et c’est ainsi jusqu’au soir. Les moments de cantine, le temps aux toilettes, tout est minuté. Pas le temps de réfléchir, de s’asseoir, de méditer.
- Vous distrayez les autres dans leur travail.
- Je ne peux plus penser ?
- Si. Mais au service de l’entreprise.
-…de réfléchir ?
-Si. Mais pour améliorer le travail.
Même le soir, atavisme et habitude, on ne traîne plus sur les chaînes de la télé. On zappe et rezappe espérant trouver mieux la chaîne à côté.
On s’est mis en ménage afin de ne pas trop glander chez les parents, avec quelqu’un(e), rencontré(e) un samedi soir en discothèque. Il y avait convergence. Ne pas trop monter en graine chez ses vieux…
On se connaît à peine. Pas le temps. On se parle à côté des amplis de la salle… quelques gestes, quelques mots.
- Tu penses quoi de Teri Hatcher ?
- Rien.
- De Matthew McConaughey ?
-Connais pas.
-Ah ! bon…
Et voilà qu’on est ensemble. Pas le temps de comprendre.
On sait que ça n’ira pas loin. On déballe les IKEA et les choses qu’on a hold-upées chez les parents. Même à ces activités nécessaires, on n’a rien à se dire.
- T’es de quel côté pour Nabila ?
- Nabila ?
- Oui, allô, quoi ?
- J’en sais rien.
-Ah ! bon.
La culture people de l’un(e) fait le malheur de l’autre.
Quand il y a des caisses de livres d’un côté et des cassettes de Johnny de l’autre, ça commence mal, si les livres sont des romans photos, on peut tomber d’accord. Après tout, on baise dans un lit. C’est mieux que dans la 204. C’est l’essentiel.
Le lundi ça repart, la course à l’emploi. Quand l’un(e) des deux chôme, c’est pire. Celui (celle) qui bosse envie l’autre et l’autre, envie parfois celui (celle) qui bosse.
Puis, halte au feu ! Déclarer au Forem qu’on s’est acoquiné(e) avec quelqu’un(e), comme si à partir du moment qu’on est pauvre, il faut déballer son intimité aux gardiens de la richesse des autres. T’as des inspecteurs qu’ont des chiens qui reniflent les graillons de la soupente, des fois qu’ils seraient là depuis six semaines.
On court contre son camp et contre soi-même, au détriment d’aimer ou pas Stromae, de préférer Brel à Hallyday, Christiane Collange à Nothomb, Rienàfoutre contre Rienàcirer.
Pour la culture en C majuscule, inutile d’aller à l’université, trop pressés de faire profession libérale, pour se taper Dostoïevski.

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On a conscience que quelque chose cloche. Quand on veut dormir on ne le peut pas, de rencontrer quelqu’un(e) on est pressé, de lire des choses intelligentes et fines, on n’a pas le bagage. On est parti trop jeune et trop vite au boulot ou trop vieux rapport à l’acide et à l’herbe. La culture n’est accessible que pour les riches oisifs. Ceux qui peuvent ne rien foutre et qu’on dit encore qu’ils travaillent.
Certains ont envie de tuer le patron.
Cela ferait plaisir. Avant qu’il ne crève, on lui dirait qu’il n’est qu’une merde.
C’est la société qui donne des envies de meurtre. Le patron responsable de la nullité de l’existence ? Lui aussi, c’est un pauvre type, qui court contre la montre avec tout juste un peu plus de chance, puisqu’il vit mieux parce qu’il soustrait une partie du travail des autres, pour améliorer son bien-être.
Fourmi, le mur dépasse ton entendement ! À l’étage au-dessus et encore plus haut, d’autres patrons, d’autres propriétaires, d’autres actionnaires qui ne vous connaissent pas et qui sacrifieraient les patrons d’en-dessous et le personnel, s’il y avait moyen de gagner plus en supprimant l’échelon.
- Tu sais ce qui serait chouette ? Que ma meuf couche avec le patron. Ainsi, je pourrais tuer tout le monde.
- Ça t’avancerait à quoi ?
- À rien. C’est comme le gros félin en liberté. Des brigades spéciales le cherchent armés de fusils. Avant de se faire descendre, d’instinct, il aura peut-être fait regretter à quelques-uns d’être venus l’emmerder. Il a rien demandé, l’animal, ni d’être enfermé, ni d’être pourchassé. Il a réussi à prendre la clé des champs. Avant de crever, il va sortir ses griffes.
On m’égorge tous les jours et je ferme ma gueule.
PS. Chère attractive Annie Lebrun, vous avez écrit « On déclame contre les passions sans songer que c’est à leur flambeau que la philosophie allume le sien. » Comment voulez-vous que le peuple qui n’en éprouve plus guère ait accès à la philosophie ?

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