« La gauche porte à droite. | Accueil | Grève générale ! »

Tout autre chose.

Dans les sales moments, il y a toujours eu un club, une mouvance, un rassemblement de personnalités souvent bien fourni en artistes bobo, qui s’élève contre la situation faite au plus grand nombre pour « redonner de l’oxygène à la démocratie et montrer qu’elle peut se régénérer ».
C’est sympathique et on applaudit. Mais, cela ne dépasse pas l’idée que ce système est mal parti. Des patriotes en-dehors de tout courant et de toute coterie sentent le besoin de s’assembler. De l’âge des cavernes à l’enterrement de la reine Fabiola, on a moins peur quand est groupé, afin de partager les mots, les rires ou les pleurs.
On n’arrive pourtant pas à se débarrasser de l’impression pénible que l’économie, après laquelle tout le monde court pour en profiter, n’est rien d’autre que ce que veulent en faire, ceux qui en tirent profit.
C’est donc logiquement, vu les circonstances, qu’un groupe d’artistes, de chercheurs, de profs de philo et de conservatoire lance « Tout autre chose » ce jeudi 11 décembre.
Je n’y suis point convié et n’en éprouve aucune jalousie, attendu que je sais à l’avance comment cela va se passer : « Tout autre chose » va se structurer pour devenir « La même chose » : un président, un secrétaire et un curé quelque part dans le comité.
Cela fait penser au ministère des réformes que Giscard d’Estaing créa en 1974.
L’enfer est pavé de bonnes intentions, mais c’est fou malgré tous ses carreleurs adroits, comme la voirie de l’enfer reste parsemée de nids de poule.
La réclame affichée au-dessus du portail est une autre manière que celle des moines qui avaient buriné dans la pierre, il y a bien longtemps « passant, si tu franchis ce seuil, abandonne tout espoir ». « Tout autre chose » veut dire à peu près pareil : « Stop ! Les idées de solidarité, de consensus et de concertation sont remises en question. Le seul horizon qui nous est désormais imposé est celui de l’austérité. Comme si, au nom d’une prétendue rigueur, il n’y avait d’autre solution que de rogner dans les salaires, les pensions, les services publics, la culture, la recherche scientifique, l’aide au développement… Nous, femmes et hommes, jeunes et moins jeunes, salarié-es, indépendant-es, pensionné-es, sans emploi, parents, profs, étudiant-es, artistes et associations, appelons à prendre le chemin de la confiance et de la solidarité ! ».
J’adore les artistes qui se mêlent de faire de la politique. Ils n’y connaissent rien, et c’est pourquoi ils gardent toute leur candeur et leur naïveté.
On sent le théâtre dès qu’ils ouvrent la bouche. Ces comédiens, je les adore, mais je ne les prends pas au sérieux. Ils ont le melon, dès qu’ils descendent des tréteaux, comme les professions « intellectuelles », comme les metteurs en scène et les directeurs de conservatoire, comme à l’ULB, l’ULg et à tous les U quelque chose.
C’est ainsi que la charmante Delphine Noels, réalisatrice, commence ainsi « Un cri de l’âme, celui d’une société déchirée aujourd’hui, en lambeaux demain, si l’on ne fait rien ». On croirait entendre Much ado about nothing (Beaucoup de bruit pour rien) de Shakespeare traduit par Marcelle Sibon !

2addppnn.jpg

Mais, c’est qu’elle a raison la bougresse !
Le comble, c’est que nous ne ferons rien et elle non plus. Parce que le théâtre, c’est un endroit absolument sensationnel. On s’assied, on voyage par la pensée dans le beau, le grandiose ou l’ignoble avec des personnages que l’on ne rencontre nulle part ailleurs, puis on rentre chez soi avec l’intention en lavant les légumes, de faire une avance pour le lendemain.
Le changement est devenu une valeur en soi, un nouvel acte gratuit. Pour qu’il y ait un changement, il faut qu’il ait quelque chose qui change, si c’est parce qu’Andrea Réa a changé de coiffure ou que Jean-Louis Colinet s’est mis à la barbe de trois jours, ça n’est pas la peine de m’inscrire au bout de la liste prestigieuse : « Richard III, abonné au gaz et à l’électricité ».
Que ce catalogue de bonnes intentions fasse l’objet d’une publication dans Le Soir est un des signes de la notoriété. Évidemment, si c’est Isabelle Cassiers ou Barbara Delcourt qui le dit, ça ne peut être qu’intelligent, tout en restant de bon aloi.
Reste à expliquer pourquoi cet élan du cœur artistico-universitaire restera lettre morte. L’explication se retrouve chez un auteur de théâtre (évidemment) fort oublié de nos jours Georges Courteline, qui n’a pas écrit que des « premières parties ».
« L’homme est un être délicieux ; c’est le roi des animaux. On le dit bouché et féroce, c’est de l’exagération. Il ne montre de férocité qu’aux gens hors d’état de se défendre, et il n’est question si obscure qu’elle lui demeure impénétrable : la simple menace d’un coup de poing en pleine figure, et il comprend à l’instant même. »
Tant que les poignards de scène seront rétractables et les pistolets chargés à blanc, les politiciens se ficheront éperdument de la « révolte » des intellectuels.

Commentaires

Pour une fois,je ne suis pas d'accord avec vous,écrire et prétendre que "Autre chose c'est peine perdue d'avance"..Je pense souvent qu'il faut une vraie révolution et qu'elle aura lieu dans la rue et autrement encore que les grandes grèves de l'hiver 60-61. mais,comme vous l'avez déjà écrit,le peuple (je résume) n'est pas encore mûr ,il n'y a pas encore assez de misère,mais en attendant,ce mouvement peut amplifier la colère qui gronde vraiment et "aider" le citoyen qui s'indigne à prendre sa destinée en main et s'opposer aux "têtes de gondole".Je suis convaincu que l'anversois tire les ficelles et l'ensemble de la classe politique ne pense pas autrement,si "autre chose" peut accélérer la chute du gouvernement(ce que souhaite l'anversois) alors,allons-y,le plus vite,sera le mieux..
Bien à vous mon cher Duc

Mais si, cher ami, vous êtes d'accord avec moi ! Qu'est-ce que j'ai voulu dire ? Tout se trouve dans les dernières lignes. Il y a des moments où il faut abandonner les poignards en carton et revenir à l'efficacité du pied au cul.
Je l'ai écrit et je le répète, j'aime le monde des arts et des lettres, puisque c'est aussi le mien. Ce que je déplore, c'est l'incapacité de dépasser le lyrisme et l'emphase de la plupart des "révolutionnaires de scène".
Bien à vous et joyeuses fêtes de fin d'année.

Poster un commentaire