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De Balzac à Bettencourt.

Ce 26 janvier s’ouvre un procès qui fait regretter que Balzac n’ait pas de successeurs au XXIme siècle capables de faire les portraits des prévenus convoqués devant le tribunal correctionnel de Bordeaux, pour répondre d'abus de faiblesse, blanchiment, recel, aux dépens de la milliardaire Liliane Bettencourt.
Qui d’autre que Balzac serait capable de décrire le défilé interlope qui va avoir lieu, allant du fonctionnaire au personnel indélicat, en passant par un ex ministre et un notaire de province ?
Honoré de Balzac nous manque.
Certains prévenus sont issus du beau monde, de ce milieu parisien politico-artistico affairiste dont les femmes emplumées et fardées comme des putes à Saint-Denis, se montrent au Grand Prix de l’Arc de Triomphe, flattant l’encolure d’un Trois Ans monté par Thierry Jarnet, tandis que les hommes partagent leur temps entre l’Assemblée nationale et les quelques endroits de Paris où se montrer est la clé d’une carrière.
Comme Balzac nous l’écrit, la justice ne présente qu’un lointain rapport avec celle des tribunaux. Il y aura condamnation selon le rang du prévenu, en foi de quoi, le coupable agitera sa Légion d’honneur avant de faire appel.
Le premier, celui par qui le scandale arrive, François-Marie Banier, c’est l'ami-artiste et photographe inspiré de Liliane Bettencourt, après la plainte pour abus de faiblesse déposée contre lui fin 2007 par Françoise Bettencourt-Meyers, la fille de la milliardaire.
Balzac a dépeint un « Rastignac en vers », dans « Modeste Mignon » (p. 403). Infatué de lui-même Canalis rêve et n’écoute pas les autres. S‘inspire-t-il de Lamartine ? Canalis passe du temps à le contredire dans les salons « par un patelinage de garde-malade, par une douceur traîtresse, par une correction délicieuse… En lui, les femmes voient l’ami qui leur manque, un confident discret ».
Le poète vide et sonore du prétoire bordelais, parangon balzacien de Natalis, est jugé pour abus de faiblesse et blanchiment, délits passibles chacun d'une peine maximale de trois ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende.
Martin d'Orgeval, compagnon du précédent, on le trouve dans Balzac sous le nom de Jacques Collin avant de devenir Vautrin (Splendeur et misère des courtisanes). Balzac, enfin je le pense, s’est inspiré en partie du drame « Lorenzaccio » de Musset avec ce diminutif de Lorenzo méprisant « -accio », chez Musset. C’est un « mignon », qui se venge avec son épée phallique sur celui qui l’a humilié en le traitant de « castrataccio ». Si l’homosexualité est déjà pratiquée au temps de Balzac, ce n’est alors qu’un vice de salon réservé à la classe supérieure, comme l’opium. Vautrin y entre par effraction, dans la dernière partie de « Splendeurs et Misères des courtisanes ». Complice, Martin d’Orgeval y était sans doute prédestiné, avec ce nom de théâtre. Orgeval fait penser à un sucre d’orge qu’on suce dans la pénombre d’une antichambre et Martin, sur les fesses rebondies des jeunes gens frisés, au cœur « gros comme ça », claque comme un martinet.
Patrice de Maistre, ancien homme de confiance des Bettencourt, j’hésite entre Vauvinet et Cérizet, l’usurier des pauvres (« Petits Bourgeois » d’Honoré). Cérizet siège dans un taudis de la rue des Poules dans lequel il ne réside pas, pour entendre les gémissements de ses clients. L’usurier est roi, les pauvres sont à genoux.
Patrice de Maistre, décoré de la Légion d’honneur par Éric Woerth, est poursuivi pour abus de faiblesse et blanchiment, passible de trois ans d’emprisonnement (Rassurez-vous, il ne les fera pas), comme Carlos Cassina Vejarano, ancien gestionnaire de l'île seychelloise de Liliane Bettencourt.
Jean-Michel Normand, 80 ans, notaire de Mme Bettencourt, renvoyé pour complicité d'abus de faiblesse commis par MM. Banier, d'Orgeval et de Maistre. Pour Balzac, tout s’articule autour de la famille, d’où l’importance des notaires, grand prêtre des contrats, sacristain des fortunes. Dans « le contrat de mariage », Solonet, fringant, conduit un cabriolet et spécule, mais c’est un notaire de province dont les vices sont tenus à l’œil par une société qui sait tout et voit tout. Je pencherais plutôt pour Roguin (César Birotteau, parfumeur) qui précipita la ruine du commerçant.

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Eric Woerth, ancien ministre, le plus connu, trésorier de la campagne de 2007 de Nicolas Sarkozy, est entre un personnage d’argent et un politique, peut-être les deux ?
Malin de Gondreville lui conviendrait. Moins brillant que Talleyrand (Sarko ?), plus malin que Fouché, sans rancune superflue, sans scrupules inutiles (Une ténébreuse affaire). Woerth s’est fait la tête de l’honnête homme, comme Jupé se l’était faite pour servir Chirac.
Alain Thurin, 54 ans, l'ancien infirmier de Mme Bettencourt, renvoyé pour abus de faiblesse a fait une tentative de suicide la veille de l’ouverture, si bien que l’affaire est remise au lendemain. Son geste pourrait être compris comme une honte à comparaître ou un remord. C’est probablement le seul véritablement honnête du lot.
La collection se poursuivrait encore si je n’étais arrivé au bout du raisonnable et dans la crainte que ces comparaisons ne passent plus très bien dans un monde où la lecture est en train de se perdre, dans les raccourcis et les à-peu-près des tablettes électroniques.

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