« Propos de deux Alain… | Accueil | Un pauvre type. »

Smith, Hegel et Marx.

Et si à la lecture de Hegel, on avait le sentiment qu’Adam Smith, le théoricien du capitalisme moderne, avait jeté les bases d’un colonialisme interne aux Nations européennes, en asservissant une partie de la population à ce qu’on appelle aujourd’hui le travail à la chaîne ?
Le cas Hegel est emblématique d’une génération de philosophe à la fois éclairés du siècle des lumières et en même temps convaincus, sur le tard, du bien fondé de la rationalité capitaliste.
Hegel avait vingt ans l’année de la disparition d’Adam Smith. Il a donc lu l’œuvre de ce dernier.
Rousseauiste dans l’enthousiasme de la jeunesse, Hegel admire le « premier spectacle prodigieux depuis que nous savons quelque chose du genre humain », écrit-il à propos de la Révolution française, dans « Principes de la philosophie du droit », pour mettre de l’eau dans son gros rouge quelques pages plus loin, pour s’effrayer de cet « événement le plus épouvantable ».
Hegel à cinquante ans quand il publie en 1820, « Principes de la philosophie du droit ». Il s’est embourgeoisé avec l’âge. Le jeune philosophe d’Iéna disparut, il reste le professeur de Berlin, qui se complaît dans la notoriété. Il est traversé de deux propositions, celle d’Adam Smith sur les définitions du peuple, et les réflexions sur la démocratie de Jean-Jacques Rousseau, dans le « Contrat social ».
Il a senti la genèse de ce qui nous accable aujourd’hui, à savoir que la grande richesse est reliée à la pauvreté la plus profonde, car, écrit-il dans « Système de la vie éthique » la séparation du travail conduira à « la grossièreté extrême » qui sera la base de la prospérité de ceux qui conduiront l’équipage à bon port.
Il n’a pas vu l’aporie à laquelle aboutissait son raisonnement. Il faudra attendre 1867, date de publication de « Das Kapital » de Marx, soit trente-six ans après la mort d’Hegel, pour conclure que le système imaginé par Adam Smith condamnera une multitude d’ouvriers à des travaux abrutissants, insalubres et dangereux, dans les manufactures et dans les mines.
Institutionnalisé, ce système en 2018 non seulement perdure encore, mais a été poussé à un tel perfectionnement qu’on n’imaginait pas du temps de Marx, même si les conditions de « l’homme en cage » se sont quelque peu transformées, en la lente et continue dégradation de « l’homme décervelé ».
La tendance historique de la production économique reste donc l’abrutissement au travail, poussant ses perfectionnements jusqu’aux tâches administratives, en attendant la robotisation complète par des machines et quelques cadres subsistants.
Quid alors des personnels sans utilité désormais ?
Cet abrutissement nécessaire, selon les gestionnaires de la démocratie tous partisans du système d’Adam Smith, s’il exclut le peuple, les menace a fortiori de cette exclusion.
Hegel parlait déjà de « classe » pour désigner le peuple, or ce peuple sera finalement exclu des richesses qu’il a créées dans la souffrance du travail et ensuite dans l’exclusion de cette souffrance !

1accore2g1.jpg

Le monde moderne conduit à l’impasse qu’Hegel ne supposait pas en parlant d’un peuple « utile et obéissant », quand les techniques se seront développées au point que le peuple ne sera plus utile et qu’on ne lui demandera plus qu’une chose : l’obéissance.
C’est évident que bientôt le système devra carrément influer sur le rôle politique de la démocratie de manière plus directe que ce qu’il fait déjà, pour changer cette règle d’égalité et de partage à toute société évoluée, pour faire admettre à l’opinion qu’au sein de la population, une part de celle-ci ne sera plus concernée par les règles de partage.
C’est déjà le cas d’un fort pourcentage d’émigrés qui se voient carrément exclus suivant une technique qui rappelle la ségrégation aux États-Unis. Celle-ci fait encore couler beaucoup d’encre et beaucoup de sang par un apartheid – qui ne veut pas dire son nom – au pays de l’Égalité de Jefferson et de Lincoln, à l’égard des gens de couleur !
Reste à franchir le dernier palier qui est celui de la désignation de la populace, « cassant » aux pourtours des cortèges de grévistes, les insignes de la pseudo-richesse. À l’échelle des réprobations, la geste aventurière est de loin supérieure dans l’exécration à la forfanterie et l’indélicatesse des forbans en costume et cravate du système. Quoique ces derniers soient de loin les plus fameux destructeurs !
La pauvreté ne fait pas nécessairement des personnes automatiquement populacières. Elle est définie par la rébellion contre les riches, la société, le gouvernement et les institutions ségrégationnistes de la société de consommation. Mais elle accrédite le mythe de l‘insouciance et de la fainéantise de la jeunesse « que l’on ne comprend plus ».
C’est ainsi que les libéraux distillent au sein de la démocratie une notion du Mal qui consiste à ne pas avoir l’honneur d’assurer sa subsistance par son travail, alors que les techniques de pointe excluent la main-d’œuvre de masse.
Au lieu de voir une condamnation de la populace, « il serait justifié d’y voir les effets négatifs de la société civile sur les individus par ce dont elle les prive, à savoir leur humanité, en les réduisant à une abstraction indéfinie » (1)
La philosophie qui rompt avec les bases du capitalisme énoncées par Adam Smith, couvre une période à peu près de la durée de vie d’un François Guizot, Historien et homme politique français, qui va de 1787 à 1874. Nourrie à la fois du contrat social ou Principes du droit politique de Jean-Jacques Rousseau, publié en 1762, et de « La Richesse des nations », publié en 1776, textes fondateurs du libéralisme économique d’Adam Smith, avec le point de rupture complet du « Capital » de Marx, publié en 1867.
Nos universités qui forment aujourd’hui les philosophes et les économistes sautent gaillardement cette période faste de la philosophie. Ce sont donc des intellectuels aux formations lacunaires, comme l’incertain Charles Michel et le culotté Gérard Miller qui donnent le la, dans une fanfare de cuistres privée de ses cuivres.
Ils sont à leur corps défendant, ce qu’on appelle des « imbéciles instruits ».
---
1. Jean-Claude Bourdin « Hegel et la question sociale », Revue germanique internationale.

Poster un commentaire