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L’insidieuse pauvreté.

Toutes les misères se ressemblent.
« Vivre n’est que d’aller d’un corps à son néant
De la forme à la nuit et du sens à l’oubli » (Paul Eluard)
Jadis les écrivains roumains décrivaient la misère en un français qu’on eût dit de Stendhal. Pourtant la misère n’est pas facile à raconter. Elle est celle du bout du rouleau, quand on se demande comment on a réussi à vivre jusque là et que l’on se sent, à moins d’un concours de circonstances bénéfiques, incapable de faire un pas de plus.
Paru en 1928, un an avant la grande crise financière, « Les chardons du Baragan » de Panaït Istrati est un classique qu’on revisite de temps à autre, selon les humeurs d’une titulaire de classe.
L’errance de deux enfants, Mataké et Brêche-Dent, dans ce grand désert du Baragan où ils brûlent des chardons et cherchent à se nourrir en rôdant dans les villages si pauvres qu’entre les planches disjointes des maisons, on voit les gens grelottés de faim et de froid, nous ramène à une singulière actualité.
Bien sûr, tous les Ronds-pointistes d’aujourd’hui ne sont pas à la trame. Mais tous sentent quelque part qu’ils n’en sont pas loin ou qu’ils pourraient, par un effet du sort, tomber dans la précarité extrême.
Angoisse universelle du pauvre identique d’un siècle à l’autre et d’un pays à l’autre, elle n’appartient à personne parce qu’elle est à tout le monde.
Les pauvres sont trop fiers pour dire qu’ils le sont et il revient à l’honneur des écrivains de parler en leur nom.
Nous n’avons pas encore trouvé le Panaït Istrati des Gilets Jaunes et tous les non-dits derrière ce mouvement spontané et généreux. Il y a des esquisses sur la tragédie de la misère au milieu de l’opulence. Un jour, un grand écrivain remettra le destin des pauvres au centre des préoccupations de tous, à sa juste place.
En cherchant le respect envers ceux qui ne s’en sortent plus, la théorie du miroir de Jacques Lacan aide à expliquer les digues de la bourgeoisie qui retiennent les larmes sur des visages impassibles pour les victimes d’une société à système.

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Pour Lacan, la construction de l’identité jouisseuse se produit à travers la captation de soi dans les autres. Selon la théorie du miroir, les relations « ordinaires » des gens de conditions sociales identiques, comportent des reflets ou des projections de pans de notre personnalité. Ces autres là rassurent, puisqu’ils sont semblables dans leur immuabilité.
On se regarde dans l'autre. Et ce reflet, comme dans un miroir, nous renvoie à des aspects que nous pouvons aimer et valoriser ou à certains que nous ne supportons pas. Dans la « bonne » société, ce qui n’est pas supportable devient expressément ce qu’on ne veut pas voir. La vision terrible d’enfants affamés, se projette sur les parents qui ont faim aussi, mais qui sont condamnables, puisqu’ils laissent leurs enfants mal nourris ! Les bourgeois se blindent contre ces visions terribles qui les empêcheraient de prendre un sherry paisiblement après le thé.
L’histoire du cinéma est forcément une suite de miroirs de la société divisée en autant de strates qu’il y a de classes sociales. On aime un film, justement parce qu’il nous reflète.
Emmanuelle Laurent évoque la théorie du miroir dans son essai « Comme psy comme ça » «Lacan dira que le moi est imaginaire. C'est une image. Une image fantasmée. Le reflet de soi dans le miroir mais aussi dans les autres que l'on côtoie, à l'école, au parc, au travail, dans la rue. Cette image de moi dans l'autre, Lacan la qualifiera de leurre. Parce que l'image du miroir, par définition, ce n'est pas moi. C'est une image. Moi n'est alors qu'une projection.»
Contrairement à ce que l’on croit, les enfants de riche ne disposent pas les parents à penser aux enfants pauvres. Les enfants brillent dans des activités extra scolaires, font de l’équitation, de la voile, du tennis et ont des amitiés de même culture, dans une réverbération d’images du même registre.
C’est un miroir d’à-propos vide. Ce milieu social défini ne se veut comparable qu’à des magazines sur papier glacé de 120 grammes.
N'aime-t-on finalement que soi-même ? Dans la pauvreté certainement, où là ce n’est pas une question de cœur, mais de survie. Ce n’est qu’à l’étage juste au-dessus que, sans être opulent, certains partagent volontiers ce qu’ils ont avec ceux qui n’ont rien. Les personnes qu'on côtoie nous permettent de comprendre qui nous sommes. Sait-on vraiment qui l'on est en 2020 ?
Tout ce que l’on sait tient dans une évidence, ceux qui nous représentent, ne nous reflètent pas. Ils sont à l’image de leurs enfants à qui, adultes, ils passent leur recette pour leur ressembler.

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