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Une vocation !...

Antoine Bourrin n’était pas spécialement attiré par le métier de policier. À vrai dire, il n’était attiré par rien. Après des études médiocres, son premier échec fut un essai dans un salon de coiffure. Sans indemnité, il aurait pu rester chômeur longtemps. L’ONEM ne demande rien à qui il ne paie rien. Ses parents lui trouvèrent une place à la S.A. Mambourg, spécialisée dans l’emboutissage des métaux plats. Antoine Bourrin emboutit donc, enchaîné à la machine pour qu’il n’y perde pas un bras. Il ne savait à quoi son travail pouvait servir, comme la plupart des gens dans les entreprises modernes. Hébété de monotonie, il ne pensait à rien.
Son père priait tous les jours Saint Éloi pour que la S.A. Mambourg le garde assez de temps, pour que son fils atteigne le statut d’« ayant-droit » du chômeur-indemnisé.
Antoine ayant embouti des tôles pour deux ans à l’avance, son stage ne fut pas renouvelé.
Le frère de sa mère était quelque chose dans une sous-section du parti socialiste. Il transmit à son neveu des formulaires à remplir pour une réserve d’agents de police, à tout hasard...
Antoine les remplit nonchalamment sans grande conviction et n’y pensa plus.
À son étonnement, il fut convoqué un mois plus tard par l’Administration, pour y passer un examen d’intégration préalable à l’école de police de la ville.
Il fut reçu par un homme en grand uniforme qui lui en imposa. Celui-ci lui parla de la noblesse du métier, de la grandeur de servir l’Ordre public. Il exalta l’amour de la patrie, puis parla de l’oncle qu’il avait bien connu à l’école primaire. Ce qui facilita grandement la cote qui atteingnit les 7,5 et l’assurait de garder l’espoir d’être recruté, malgré quelques défaillances en orthographe, que corrigea complaisamment l’examinateur, avant d’expédier les résultats au chef de Corps.
Toute la famille poussa un ouf de soulagement, lorsque, deux mois plus tard, l’administration lui enjoignit de se présenter à l’écolage, en faisant un crochet par le cabinet du bourgmestre pour signer un contrat d’admission à l’école.
Les profs étaient d’anciens flics et deux avocats sans cause qui jouaient à la belote pour de l’argent avec les élèves. Ce fut une formalité. Il lui suffit de perdre aux cartes. Assermenté, Antoine Bourri arpenta les rues de la ville un gros flingue sur la cuisse. Auparavant, il avait vidé trois chargeurs au stand de tir, terminant à la « bosquette » 5,5 d’une arme moitié plus petite et moitié moins cher.
Ces premières « missions » sous la haute surveillance de collègues chevronnés furent une révélation pour lui. Il lui sembla qu’être du côté de la loi, conférait des avantages considérables sur le reste des mortels. Ses collègues ne le détrompèrent pas, en ce sens. Il lui sembla que ceux-ci connaissaient tout le monde. On les saluait. Il parlait parfois pendant de gros quarts d’heure à des carrefours avec des commerçants et des jeunes femmes charmantes dont le métier semblait ne correspondre à aucun critère.

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C’était le printemps avant Covid. Il n’avait jamais eu aucun succès auprès des femmes et à 26 ans, cela peut paraître fou, il était encore vierge ! Il faut dire que sa nonchalance y était pour beaucoup. Et voilà qu’il ne s’était pas passé quinze jours de déambulation, qu’il s’amouracha d’une passante à qui on avait volé son sac et à qui il donna un rendez-vous après le service. Et elle vint ! Tout de suite, ils prirent une chambre dans un hôtel de passe. C’était une occasionnelle et il ne le sut que plus tard. Elle ne lui demanda pas de « petit cadeau » grâce à son prestige de flic. La mâtine considérait que ce « client » pouvait lui être utile. Au lit, elle fut tout à fait charmante, échevelée, une rosée de sueur sur les tempes, après le corps à corps du plaisir. C’est là qu’il eut le déclic d’une psychologie en marche et qui plus jamais ne resterait en sommeil. Il vint à penser en enfilant son pantalon que « l’Amour n’arrange pas les femmes ». Ce qui ne l’empêcha pas de l’épouser, mais ça, c’est une autre histoire !
Le briefing des chefs au sortir de journées de guet eurent raison des inventions éthiques du pouvoir pour faire croire à la grandeur de sa mission. D’instinct il fit des chasses au faciès, histoire de remplir ses carnets et de faire du chiffre. On a rarement le cœur de se désavouer et de crier sur les toits qu’on ne croit rien des sentiments altruistes et de l’amour de la patrie des gradés. La vigilance n’est que le produit de la peur de recevoir un mauvais coup. Il aimait mieux être complice que naïf et il sut d’instinct qu’être un bon fonctionnaire de police, c’était être respectueux des aînés.
A sa première échauffourée, il n’était pas en première ligne. Les anciens évitaient les manifestants les plus agressifs, ne s’attaquant qu’à ceux qui leur paraissaient aptes à recevoir des coups sans pouvoir les rendre. Les émeutiers violents ramassaient les victimes et disparaissaient à l’arrière. On ne les revoyait plus. Il finit par partager le sentiment général, selon lequel les contrevenants étaient presque tous de « type » étranger. Comment pouvait-il en être autrement, puisqu’ils étaient ciblés et pourchassés en premier ?
Il sut enfin, en recevant sa plaque, le mettant définitivement au service de la Nation et de sa ville, que la discipline, c’est être le patron et donner à voir que les honnêtes gens sont perdus sans vous.

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