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Manifeste.

Écrire aujourd’hui inclut une responsabilité de l’écrivain, même dans le divertissement ou la littérature enfantine. L’auteur ne peut pas jouer sans limite de l’étrange et de l’insolite, sans se saisir du réel, ne serait-ce que dans sa manière de fonctionner grammaticalement.
Il lui incombe de dévoiler les secrets cachés que les acteurs de la société refusent parfois de voir : les SDF, les conflits, la violence urbaine, la discrimination sociale et raciale.
La volonté permanente de se confronter au réel, d’interroger et de bousculer l’ordre du monde, devraient, à tout le moins, laisser une trace, même infime, dans toute œuvre imprimée.
On ne peut pas dire aujourd’hui « je ne savais pas » quand des sociologues comme Bourdieu, savaient depuis la fin du siècle dernier.
Sartre en 1945, dans les premiers numéros de la revue « les Temps modernes », revient sur la responsabilité de l’écrivain « Je tiens Flaubert et Goncourt pour responsables de la répression qui suivit la Commune parce qu’ils n’ont pas écrit une ligne pour l’empêcher. Ce n’était pas leur affaire, dira-t-on. Mais le procès de Calas, était-ce l’affaire de Voltaire ? La condamnation de Dreyfus, était-ce l’affaire de Zola ? L’administration du Congo, était-ce l’affaire de Gide ? Chacun de ces auteurs, en une circonstance particulière de sa vie, a mesuré sa responsabilité d’écrivain. ».
Plus avant, il regrettait l’indifférence de Balzac aux journées de 48, pour conclure « Serions-nous muets et cois comme des cailloux, notre passivité même serait une action. »
Le projet moderne fondé sur l’espérance d’une amélioration continue de la condition humaine serait-il abandonné dans la démarche du néolibéralisme ?

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On pourrait le croire, puisque dans l’incertitude d’une quatrième vague du Covid-19, le démantèlement de l’hôpital public se poursuit avec la fermeture de lits, malgré les promesses qui furent faites aux premiers assauts de la pandémie !
L’écrivain gazouillant dans le sens d’une pensée unique assotée du projet européen n’est-il pas aussi coupable, que les pions du parti bourgeois assurés d’un confortable avenir dans une démocratie confisquée ?
La « postmodernité » sanctionne le constat d’une désillusion généralisée des idéaux humanistes. Le progrès et la foi en l’avenir sont évincés par les guerres mondiales, les génocides, les menaces nucléaires, les totalitarismes… Nous serions dans « l’ère des fins », qui réunit sous une appellation commune les « fins » les plus diverses : de l’histoire, des idéologies, de l’art, du roman, de tout enfin de la création de l’homme qui n’aurait servi à rien, si ce n’est à nous détruire !
Il n’y a rien de plus dramatique ou de plus drôle, selon le registre de l’écrivain, que de dépeindre le libéral d’aujourd’hui mettant toute sa conviction au service de la mauvaise foi ? Tel est Georges-Louis Bouchez dans ce qu’il argumente en avocat consommé, pouvant être compris dans les deux sens tragique ou drôle, mais jamais dans une réalité perceptible par tous.
Sartre dans la Critique de la raison dialectique (1960) analyse l'impuissance sérielle, quand chaque individu séparé de l'autre dans l'altérité est un rival, car notre histoire est celle de la rareté – rareté de produits, de consommation, de temps, d'emplois. « Il n'y en a pas assez pour tout le monde » de sorte que se multiplient ceux que Sartre désigne comme les excédentaires, inutiles au monde par exclusion, ou plutôt par désaffiliation.
L’écrivain de 2021 ne pourra pas dire comme l’écrivaine France Adine en 1945 qu’elle ignorait l’existence des camps, lorsqu’elle écrivait pour les femmes au foyer en 1943.
On ne peut plus ignorer les convulsions sanglantes du monde moderne et cet immense brassage des populations qui pourraient entraîner le monde à sa perte.
Peut-on encore concevoir une écriture qui ne soit pas utile, qui ne soit pas engagée ? Quoi que nous fassions, l’écriture engage et véhicule parfois à l’insu de l’écrivain une vision consentant ou non à l’ordre social ou au contraire le dénonçant. Il n’y a pas d’apolitisme au regard de l’histoire. Toute écriture dévoile des dominations, de la domination de classe à la domination masculine, des souffrances familiales à celles du monde extérieur.
Je préfère cent fois quelqu’un qui déteste les chroniques Richard3, soit parce qu’il les juge mal écrites, soit parce qu’il les conteste politiquement, à quelqu’un qui réagit aux photos-montages, sans lire une seule ligne.
Tant il est aussi nécessaire pour l’évolution de l’Histoire, que le lecteur s’engage au même titre que celui qui écrit.

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