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Travail de merde.

C’est la traduction de « bullshit jobs », concept rendu célèbre vers 2010 par David Graeber.
Voilà un des chancres du système économique libéral qui ne s’explique pas par les pirouettes de Vélociraptor.
Selon les vaticinations de Bouchez, le système économique libéral privé est supérieur en efficacité et en moindre coût au système public. Les emplois y seraient tous nécessaires et productifs. Qui serait assez fou pour rémunérer quelqu'un à effectuer une tâche qui ne sert à rien ? …Et de dauber sur la multitude des fonctionnaires « inutiles » dans le public!
Pourtant, les emplois prolifèrent dans le privé, plus même que dans le secteur public !
Dans les entreprises libérales, il pleut des consultants bidons, des happiness managers et des gestionnaires de portefeuille qui n'aident pas à gagner plus d'argent, mais à le gaspiller !
Puisque le privé renifle l’argent là où il y en a, les bullshit jobs doivent remplir les poches de quelqu’un ou « servir » à quelque chose ?
Les bullshit jobs seraient en quelque sorte le stratagème qu’eût employé Harpagon dans un autre temps, pour sauvegarder sa cassette et l’augmenter de celles des autres éventuellement, le tout n’ayant rien à voir avec la profession d’usurier que Molière lui attribue. Exactement ce qu’il se passe dans les milieux que GLB adore, sinon fréquente.
Ces milieux aspirent à connaître ce que les autres fabriquent. À quelle hauteur se situe les entreprises de la concurrence, par rapport à celles qu’ils dirigent ? Ils projettent leur performance sur l’avenir, à la recherche d’une production crédible d’écoulement en fonction des besoins de la clientèle visée. Tout étant problématique, ils mettent en opération des bureaux de la perspective et de la statistique.
On voit fleurir dans les banques et les grandes entreprises des mirliflores du genre d’Étienne de Calataÿ, des futurologues médiatisés rassurants façon Pascal Delwit, les serviettes bourrées de « reporting » (rapport), produisant des indicateurs de performance sur lesquels tout le monde triche. D’autres apportent des visions stratégiques bidons, sans compter l’arme fatale des statistiques, dans une noria de données noyant les bureaux des banques et des affairistes qui en sont fous ! Aucun secteur n’est à l’abri des oracles professionnels et des pythonisses spécialisés.
Pour le philosophe Harry Frankfurt le bullshit est «un détachement complet de la réalité». Le bullshit n’est pas mentir, puisqu’il n'a aucun lien avec le monde réel. Gerald Allan Cohen définit le bullshit comme une «opacité inclarifiable», à la différence du jargon professionnel, le bullshit ne peut devenir compréhensible, quels que soient les efforts pour y parvenir.
Ce secteur occupe des centaines de milliers de personnes aux États-Unis. L’Europe est à peine à ses débuts et la Belgique est dans les têtes de gondole en la matière. On est dans le registre de la mystification, du vide, du vent, rien de mieux que nos trois Régions, nos innombrables redondances et nos neuf ministres de la santé pour accueillir le « bullshit » les bras ouverts.

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Ne pas confondre bullshit jobs avec «shit jobs». On ne voit pas Calataÿ tiré à quatre épingles avec le « shit », mais une foule de pauvres diables qui n’ont d’autre alternative pour survivre que se taper des travaux physiquement ou psychologiquement éreintants aux rémunérations dérisoires.
Les bullshit jobs, profondément inutiles, ont des personnels qui prétendent l'inverse. Ils portent aux nues leurs fonctions dans le système libéral. Font-ils accroire autant à leurs employeurs ? Ils prophétisent dans l’entourage des décideurs avec l’accord de ceux-ci, parce que c’est le seul langage que ces derniers connaissent, sortis eux-mêmes de bulles managériales, recrutés de la même manière que l’on recrute en France et en Belgique des diplômés de l’ENA et des Universitaires haut de gamme, pour les emplois de fonctionnaires de direction.
Si le marché récompensait véritablement l'efficience, les tâches inutiles devraient disparaître naturellement et les personnes qui les identifient et les dénoncent devraient être récompensées. Or, il n'en est rien, et c'est là tout le problème.
Thorstein Veblen, économiste et sociologue, écrivit, il y a longtemps, que les hommes cherchent à se montrer utiles par tous les moyens possibles, quitte à faire semblant. Il publia sa Théorie de la classe de loisir en 1899. Pour lui, l'inutilité réelle d'un travail devient un symbole de statut social au même titre que l'oisiveté sous l'Ancien Régime, même s'il est nécessaire d'affirmer ostensiblement son utilité.
De sorte que l’on peut associer les CEO aux bullshit jobs, atomisant de leur suffisance les Conseils d’Administration, d’autant qu’ils cultivent l’oisiveté par l’absence.
On discerne mal ce qui permet de dire que le privé n’emploie rien d’autre que ce qui est utile à l’entreprise. Au contraire, en période de vaches maigres, on garde du personnel pour sa compétence et en période d’abondance, on multiplie les bullshit jobs, comme une sorte de précaution sur l’avenir.

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