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Travail et galère…

On n’a jamais tant écrit sur le travail… au siècle dernier. Aujourd’hui, la question de l’éthique du travail semble résolue : on l’a mise sous le tapis. Le travail apparaît comme la seule issue permettant au citoyen de se considérer comme une personne honorable satisfaisant à ses responsabilités. Nécessité fait loi, c’est le travail ou rien, et rien : « Tu n’es pas un homme » !
On n’a jamais tant associé le travail aux qualités humaines, alors qu’il y est parfaitement étranger.
Si bien que la notion de contrainte disparaît devant les responsabilités. L’irresponsabilité est du côté du chômeur, pas loin d’être considéré comme un asocial, se complaisant dans une situation en délicatesse, porté par ceux qui travaillent comme un boulet. Emmanuel Macron l’a dit « il suffit de traverser la rue » pour transformer un chômeur en un bon citoyen.
Or cette société fabrique des chômeurs qui lui sont indispensables pour fonctionner. Sans eux, il serait difficile de maintenir une hiérarchie par l’argent assimilé au mérite, comme d’établir une hiérarchie des valeurs, dont le chômeur est le premier échelon.
Toujours au siècle dernier, le travail a pu être détaillé en fonction de son intérêt et du choix en toute liberté d’une profession. Entre le travail choisi et la contrainte de travailler, il y a cent manières de le considérer comme un enrichissement moral et pécunier venant récompenser le travailleur ou comme une terrible nécessité niant les dons et les qualités de celui qui y est astreint, poussé par la nécessité qu’il est, de gagner son pain de n’importe quelle manière, y compris la pire.
On n’ose plus s’élever contre le travail à la chaîne. Le geste sempiternellement produit dans la cadence d’une chaîne de montage, et pas seulement, l’emploi de magasinier chez de grands distributeurs et d’une certaine manière tout ce qui est répétitif et donc peu enrichissant intellectuellement, dans son ensemble fastidieux, ne sont plus classés dans des métiers « décérébrant », pour la simple raison que la nouvelle posture libérale les célèbre dans le processus de la robotisation générale du travail.
Le travail continu a quelque chose de bête comme le repos, écrit Jules Renard. Il neutralise le travailleur dans une sorte de routine qui ressemble au sommeil sans rêve où il ne se passe rien. Mais à l’inverse du sommeil qui est une réparation des efforts commis, le travail continu est d’une absolue cruauté pour la fatigue qu’il engendre et les dégâts qu’il suscite chez le travailleur qui pense indépendamment du travail qu’il produit.

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Ce siècle, à l’inverse du précédent, devait être celui des services et des techniques. On aura compris le sens que cela implique, les élites se réservant les techniques et le gros de la population, les services.
En 2022, tout ce qui se rapportait au travail dans ses spéculations humaines, ses dépendances et ses aperçus philosophiques ont complètement disparus des discussions des partis et même des syndicats. On ne peut même plus dans certains cas critiquer des conditions de travail d’une entreprise peu scrupuleuse des lois, mais qui compterait des dizaines d’employés et ouvriers.
On dirait que l’absolue nécessité de travailler dans des conditions pas toujours normales, avec des salaires peu gratifiant a complètement effacé les critiques frappées du coin du bon sens au siècle dernier. Elles apparaissent comme un ramassis de paroles en l’air servant la cause des fainéants.
Le tragique du travail obligatoire à défaut d’un travail recherché comme « intéressant » touche encore comme jadis et de la même manière brutale des dizaines de milliers de travailleurs, mais il est quasiment interdit de se plaindre et de critiquer. Le MR s’est spécialisé dans le « Job, job, job » à tout prix et dans n’importe quelle condition. Son président Georges-Louis Bouchez a pris naturellement la tête d’une bande fanatisée qui croit que le chômage est une condition dont chacun peut sortir en montrant du courage et de l’allant. A contrario, ceux qui persistent sont des chiffes molles qu’il faut faire sortir des refuges douillets de la paresse en réduisant les indemnités que l’Etat leur alloue.
Ce type de raisonnement qui valut des succès d’estime de la bourgeoisie à Charles Michel est une sorte de brevet politique que semble même partager le PS.
Qu’est-ce qui fait que nous soyons partis d’une défiance naturelle pour de véritables peines décidées par un tribunal de l’opinion publique, devenant aujourd’hui de véritables métiers ?
Dans les conditions actuelles d’inflation, de misère en progression régulière, d’impossibilité de changer la tendance d’une dégradation des moyens d’existence, le refrain libéral que tout n’est affaire que de travail et que justement plus de cent mille postes de travail en Belgique ne sont pas pourvus, ce discours mensonger tient toujours le haut du pavé, paralyse le PS, endort l’opinion publique.
Exacerbé par l’échec de la mondialisation le néolibéralisme s’est durci autour de ses croyances dans une vision toujours possible des progrès dans tous les domaines par le travail.
Tout obstacle à cette vision lui paraît insupportable, alors que la pandémie a montré les grave défaut du système et que la guerre en Ukraine aborde la question d’approvisionnement en céréale des pays pauvres à haute consommation de farine.
L’abandon d’une approche critique du travail dans une société libérale, par les forces économiques et politiques de ce siècle, nous fait regretter l’autre par sa plus grande ouverture d’esprit.

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