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La nouvelle bourgeoisie.

Une récente double page dans « Le Soir Illustré » donne un aperçu de ce que la presse perd aujourd’hui en réflexions et en analyses. On y montre les lieux d’habitation de nos ministres anciens et nouveaux, ainsi que de nos bourgmestres et échevins. Le commentaire est celui du catalogue « Maisons et jardins ».
Il a échappé au thuriféraire de service que tous sont logés à la même enseigne : celle de la bonne bourgeoisie.
A quelques encablures de cette machine à décerveler les gens qu’est un journal aujourd’hui, un écrivain-philosophe se penche sur ce qu’il convient d’appeler « la disparition de la bourgeoisie ».
« …Cette crise est en étroite relation avec les transformations qui ont eu lieu dans la propriété et le contrôle du capital, caractérisées par la disparition progressive de la bourgeoisie des entrepreneurs individuels ou familiaux du XIXe siècle, au profit d’une classe qui contrôle plus ou moins collectivement le capital, beaucoup plus centralisé. Cette centralisation progressive du capital se traduit par le dépassement des formes de la propriété privative familiale de l’entreprise et l’invention de formes sociales de la propriété : la société anonyme, les « corporations » qui contrôlent le capital. Progressivement, la bourgeoisie du XIXe siècle est remplacée par ce que Galbraith, entre autres, a appelé les « technostructures », terme qui prête d’ailleurs à beaucoup d’ambiguïtés. »
Nous le constatons, la bourgeoisie classique n’est plus. Même si tout le monde se veut bourgeois. Déjà en 1900, Charles Péguy avait constaté le phénomène : « Tout le monde devient bourgeois, c’est ça la modernité ».
Evidemment Péguy faisait allusion à la sotte prétention des classes subalternes à l’aspiration d’accéder à la classe supérieure.
Or, la société a peur du vide, comme la nature. Comment se fait-il que cette bourgeoisie ancienne ayant fait naufrage dans le capitalisme moderne, il s’est trouvé une classe montante qui l’a remplacée sans qu’elle soit d’employés, d’ouvriers, voire d’artisans, une classe aux revenus stables, ayant repris à son compte les coins douillets, les oasis de paix, sans avoir eu de prime abord – pour la première génération tout au moins – ce petit coup de pouce familial qui fait les bons départs ?
Ne cherchons pas plus avant, cette nouvelle bourgeoisie est essentiellement constituée de mandataires politiques à tous les niveaux et disposant d’un revenu parfois important et cumulable.
A cette constatation, le Soir illustré répond à sa manière sans chercher à comprendre le phénomène de substitution qui s’est produit et se reproduit tous les jours tout au long des charges et mandats rémunérés que les mandataires publics s’allouent comme jadis le patron faisait son salaire.

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Si les demeures reflètent la personnalité de ceux qui les occupe, il est aisé de dresser une typologie des lieux. On peut situer la fourchette des prix des habitations de cette nouvelle bourgeoisie entre 300.000 et 600.000 euros, voire davantage. Les périphéries, les boulevards calmes, les rues larges seront préférés aux rues étroites, dans des environnements non pollués par des autoroutes ou des zonings, de préférence à proximité d’espaces verts ou des dunes, comme c’est le cas de la villa knokkoise de Marc Verwilghen.
Jean-Luc Dehaene s’est choisi une maison moderne en forme de cube avec un grand dégagement devant et un jardin derrière à Vilvorde dont il est le maire. Di Rupo a sa dolce vita à deux pas de l’hôtel de ville de Mons avec un nombre respectables de fenêtres de façade. Au loin, c’étaient les corons, pouvait chanter Bachelet. Très loin alors, semble dire cette maison patricienne. Séduit par l’escalier, Freddy Thielemans s’est amouraché d’une maison Art Déco, des faubourgs arborés - évidemment - de Bruxelles.
Joëlle Milquet vit dans une immense bâtisse, trois façades à Bruxelles-ville ; mais, attention, non loin de l’hippodrome de Boitsfort, quand même. Yves Leterme, plus discret, ne fait jaser personne puisqu’il cache son bonheur dans le silence des frondaisons. Happart joue les parents pauvres dans un appartement moyen à Liège, mais va se ressourcer dans une ferme à Rullen qui pourrait loger plus d’une famille à l’aise. Déjà chef de cabinet en 93, André Antoine ne pouvait que mieux prospérer par la suite pour la décoration intérieure, dans un charmant coin de Perwez. Laurette Onkelinx voit grand partout où elle passe. Elle loue à Schaerbeek un bâtiment très 1900, mais sans doute très confortable qui pourrait héberger la moitié des squatters de Schaerbeek, mais, c’est en attendant la villa « Samsufit » qui pousse ailleurs. A Alleur, Daerden fait dans le romantique. On n’en saura pas plus. Demotte achète la maison contiguë à la sienne pour des raisons sentimentales. Un clou chasse l’autre et l’ancien propriétaire a fait place au génie financier des circuits, Kubla Serge, qui joue le gentleman- farmer à Waterloo, d’où il peut méditer sur le fameux Lion. Enfin Isabelle Durant « campe » depuis 20 ans dans une maison à trois niveaux et prend ainsi la place de trois ménages de l’ancienne petite bourgeoisie, mais c’est à la bonne franquette et dans le luxe « naturel ».
Si tout cela ne sent pas la crise de bourgeoisisme, je ne sais plus ce que ce mot veut dire.
Bien entendu, dans cette floraison d’éminences politiques de rangs divers, il y a des avocats, surtout, des universitaires qui auraient pu faire du blé autrement ; mais, justement, ils ont choisi de défendre « la veuve et l’orphelin ». Résultat, ils n’ont pas si mal choisi, quand même.

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