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Héros et bourreaux

On se pose parfois la question : « Que ferait-on si un aventurier prenait le pouvoir en s’appuyant sur l’armée ou sur une minorité agissante, c’est-à-dire n’ayant pas l’appui d’une majorité » ?
Des Anciens ont vécu l’Occupation allemande entre 40 et 45. Ils savent bien comme être sujet à l’arbitraire d’un autre peuple ou d’un chef charismatique pose presque toujours la question.
De quelle manière résisterions-nous à l’oppression ?
Au mépris de toute prudence et malgré une population déjà vaincue et passive, être capable de dire non au risque de sa vie, c’est une attitude qui ne va pas de soi et qui n’est pas donnée à tout le monde.
A tout le moins, si pareille décision n’était pas prise, l’option passive supposerait à l’homme de réflexion la crainte d’être le complice involontaire d’exactions.
Quand on n’est pas le nez sur les circonstances qui amènent à prendre une décision, on ne peut pas connaître la réaction que l’on aurait. Sommes-nous de l’étoffe des héros ou des lâches ?
La réponse ne va pas d’elle-même ; mais nous pourrions très bien, comme la plupart des gens, nous démarquer des collaborateurs en prenant des précautions pour que notre réprobation se sache sans qu’elle nous attire des « ennuis ».
Cette approche prudente ne nous garantit pas contre nous-mêmes.
Que savons-nous de ce que nous ferions puisque tout cela est théorique.
Des expériences par le passé de psychologues du comportement, notamment des expériences tournant autour de la responsabilité déléguée par l’autorité, prouvent que la soumission à l’autorité peut transformer un homme ordinaire en tortionnaire.
Lors de procès de bourreaux au service d’un Régime dictatorial ou de tout autre système « fort », tous ou à peu près tous ont expliqué leur comportement par leur obéissance à l’ordre donné. Couvert par son supérieur, lui-même couvert par un autre fonctionnaire, la chaîne remonte parfois jusqu’au gouvernement. Le bourreau se sent un simple exécutant sans responsabilité. L’initiative individuelle « sadique » est plutôt réduite à quelques psychopathes investis d’une mission. Des geôliers américains dans une prison irakienne, faisant subir à leurs prisonniers des sévices de leur propre initiative se sont pris au jeu de l’institution carcérale qui coïncidait avec leurs instincts pervers. Sans aller jusque là, tout qui est doté par ses fonctions d’une parcelle d’autorité peut en abuser.
Un contexte de crise peut métamorphoser un citoyen jusque là paisible en résistant ou en collaborateur, sans qu’il soit possible d’établir une frontière dans la capacité du fonctionnaire, du militaire ou du simple civil d’être l’un ou l’autre et parfois, les deux à la fois.

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Il faut chercher aux sources de la civilisation, dans le monde grec, les origines de la notion d’héroïsme. Les héros sont associés aux divinités, tant le comportement héroïque passait pour surhumain et donc influencé par les dieux. Ce n’est qu’à l’aurore de la civilisation moderne, qu’autour de la Révolution française apparaît l’héroïsme de l’homme ordinaire, enfant du peuple dont rien ne le distingue des autres et que la noblesse confinait aux rôles de serviteur, c’est-à-dire d’exécutant servile.
Désigné à l’admiration des foules par l’exemple, très vite ce héros populaire a été déclaré suspect. On lui a préféré le héros anonyme, célébré dans les films de guerre américains. Son statut de héros glorifie l’héroïsme de la Nation, comme si cette nation n’était faite que de héros.
C’est à la publication des exactions des Régimes nazis et communistes, de la Chine actuelle, du Cambodge de Pol Pot, des génocides du Kosovo et du Ruanda, qu’a été consommée la fin du héros mythique, et l’avènement de l’inquiétante figure du bourreau.
Les bourreaux des temps modernes sont des fonctionnaires investis d’une mission « spéciale », qui se lèvent à la même heure tous les jours, partent au travail aux heures de pointe et reviennent après leur journée embrasser femmes et enfants. Arès les Mengele, Eichmann ou Beria, ces fonctionnaires anonymes des Régimes totalitaires sont plus que leurs modèles, les responsables profonds de l’horreur planifiée.
Avec l’expérience de l’histoire et les recherches qui ont été effectuées sur des individus « normaux » de leur capacité à traduire les ordres quels qu’ils soient dans la réalité des faits, nous savons que le bien et le mal sont à la portée de tout le monde.
Pour la gouverne des générations futures, il serait plus instructif d’apprendre à désobéir qu’à obéir ; plus civique d’aiguiser l’esprit critique chez l’adolescent, que donner comme fondement éducatif l’art de se vendre à un employeur qu’il soit privé ou d’Etat et à se soumettre aux impératifs de l’obéissance hiérarchique de la société anonyme.

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