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Alcibiade et les autres…

Jacqueline de Romilly, comme a dit Proust à propos des duchesses, est une dame tout à fait charmante, quoique de l’académie française. Cette enseignante nous a laissé quelques travaux remarquables par leur limpidité sur la Grèce antique, dont elle est une spécialiste incontestée.
Elle a tracé un portrait fort intéressant d’Alcibiade, ce fils adoptif de Périclès, né vers 450 av. JC et mort à Melissa (Phrygie) vers 404.
Quel est le rapport entre cet homme du grand Siècle, dit de Périclès (Vme s. av. JC.), et nous, du petit XXIme qui s’annonce si mal ?
Ce type, cet Alcibiade, vu par Jacqueline de Romilly fait penser à l’homme politique moderne !
Sans doute ne l’a-t-elle pas fait exprès, puisqu’elle le défend en lui ménageant son estime. Involontairement, elle nous en trace un portrait qu’on ne trouvera pas dans les livres d’histoire : celui d’un faiseur, tour à tour bobo et bling-bling, à qui on passe tout, une sorte d’enfant gâté. Du reste il symbolise la jeunesse et jusqu’à la fin, dit-on, il passera pour ne pas « faire » son âge. On sent que l’auteur, malgré les siècles qui se sont écoulés, est toujours sous le charme du coquin.
Alcibiade est une sorte de Jack Lang jumelé à Nicolas Sarkozy, intelligent, fort habile à conquérir les foules par un discours adroit et malgré, nous dit-elle, un léger zézaiement qui en faisait le charme.
Alcibiade est beau, riche, illustre par sa naissance, polyvalent en amour comme la plupart des Grecs de l’époque. Il aurait couché avec son mentor Socrate qui, cependant, aurait résisté à son charme. Un peu comme si dans les années soixante une femme ou un homme avait résisté à Marlon Brando !
Ce jeune intrigant a tout fait dans sa carrière fulgurante. Il a trompé, couché, s’est débauché, est allé jusqu’à posséder sept chars avec chevaux et équipages pour les JO de l’époque, est devenu stratège parmi les dix qui dirigeaient Athènes.
Mais, il est allé trop loin. Après avoir poussé la Ville à conquérir la Sicile, Grâce à son expérience, il fut élu stratège en 420 ; il était alors déjà chef des démocrates extrêmes, une sorte de parti libéral de la jeunesse qui ne croyait pas trop aux dieux, et à la sagesse des Anciens. Son impérialisme ambitieux contribua en majeure partie à la rupture de la paix de Nicias et à l'envoi, en 415, de l'expédition de Sicile, dont il fut un des trois chefs. Il concourut ainsi au déclin de la Cité ; car cette expédition fut un désastre.
Condamné à mort pour s’être moqué des mystères d’Eleusis, et peut-être d’avoir mutilé les bornes à l’effigie d’Hermès qui limitaient les propriétés, il s’enfuit à Sparte chez l’ennemi juré d’Athènes, convainc la Cité rivale de combattre sa Ville et divulgue tous les petits secrets de ses défenses.

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Ce charmant jeune homme donne trois conseils à Sparte qui vont mettre Athènes à genoux. Ce qui ne l’empêche pas de faire un enfant à la femme de son hôte, le roi Agis.
Habitué aux agapes et aux fastes, à Spartes, il devient frugal, couche à la dure et se montre en tous points pareil à ces rudes soldats, dans le but de s’y faire accepter comme étant des leurs !
Et Jacqueline de Romilly l’aime encore !
Retournement à nouveau de cuirasse – à défaut de veste – il manœuvre pour réintégrer Athènes en 407, à la faveur d’un régime démocratique moins sévère. Il reprend du service en politique. On espère trouver en lui un capitaine capable et un moyen d'alliance avec les Perses. En 406, une nouvelle défaite de la flotte grecque à la bataille de Notion lui fit perdre son prestige. Il ne fut pas élu stratège pour 406-405.
Cet homme de pouvoir, déçu de ne pas en être une fois de plus, se retira en Chersonèse de Thrace après que les Athéniens eussent perdu la bataille d'Aigos Potamos en 405.
Il meurt assassiné, de la main, sans doute, d’un mari jaloux, l’année suivante.
Aujourd’hui, le vide qui entoure les éclats et le bruit entretenus par la presse people, mais aussi par les autres moyens de diffusion d’une certaine élite de pouvoir, fait penser à Alcibiade. Pour que ces « grands faits » politiques, son charme, ses mouvements, ses trahisons aient été transmis par les historiens du temps et nous soient parvenus, fallait-il qu’il soit à lui seul, l’homme qui s’exhibe, et celui qui construit sa légende, l’homme spectacle qui étonne et émeut, démiurge de l’action politique, bref un avocat d’aujourd’hui.
C’est ainsi que le sarkozysme réalise le rêve d’une certaine gauche…Lui aussi s’est arrangé pour que ses renoncements, ses attentes, voire ses trahisons ne ternissent pas l’engouement des foules.
Dans les sociétés humaines, les classes « supérieures » fixent symboliquement les modèles de comportement. Par une sorte de fatalité, elles nous convainquent et nous les croyons, parce que nous sommes simples et qu’elles ont l’arme de la duplicité dans leur arsenal.
Une élite respectable donnerait envie d’être socialement imitée.
Le spectacle de nos Alcibiade a quelque chose d’écoeurant. Comme est écoeurante toute imitation qui, venant d’en bas, renvoie encore plus bas que terre.
L’exemple des anonymes qui font la prospérité générale et qui ne reçoivent que mépris pour prix de leur travail, devrait être le seul qui vaille afin qu’on en fasse le récit.
Une société ne peut se contenter du statut des élites. Je l’ai dit cent fois, un homme quel que soit son mérite ne peut en valoir cent autres, selon le principe de Sartre il devrait n’être qu’un homme parmi les hommes et que vaut n’importe qui.

Commentaires

Résister à Marlon Brando. Tu rêves ou quoi. Je suis quelqu'un qui ai résisté à pas mal de mecs mais si Julien Clerc, Alain Souchon, Georges Brassens, Michel Delpech, Véronique Samson, France Gall, Françoise Hardy, Jeanne Balibar, Miou Miou, Henri Troyat, Jean-Francois Kahn, Guy Lukowsky, le groupe de "Dire Straits", la liste est tellement longue que j'en aurais une, une vie intéressante mais si tu places la photo de Reynders, je retombe lamentablement dans un quotidien minable. Ne mélange pas les torchons avec les serviettes. Merci Richard3. Dorebul

C’est le désir qui nous fait avancer. L’égoïsme et l’ambition ne sont pas en soi des « défauts ». Mais l’égoïsme passionnel est l’amour pathologique de soi. Lacan disait à juste titre que notre désir est avant tout le désir du désir de l’autre. Dans mon désir pour une femme, je donne bien plus de prix à la lecture du désir dans ses yeux qu’à ma propre jouissance ; dans mon désir de puissance, j’accorde bien plus de prix à la reconnaissance, l’envie, la crainte (avatars du désir) dans les yeux d’autrui qu’à l’épaisseur de mon portefeuille. De même, l’homme politique accorde un prix souvent démesuré à l’ « amour » de ses électeurs(trices) ; c’est son principal moteur. Mais Jupiter rend fous ceux qu’il veut perdre…Chez les Marx, les Jaurès, les Vandervelde,(…mais aussi les Sœur Thérésa), la griserie d’être reconnu comme homme intègre tout entier dévoué à son prochain procure une jouissance qui justifie les années d’abnégation, de travail, de renoncements ! Mais à côté d’eux, il y a les gagne-petits qui virent aux minables en jouant les cartes du népotisme, de la trahison,…sans renoncer au désir d’être aimés. Mais on ne peut avoir le beurre et l’argent du beurre ! Nous sommes tous des dépendants affectifs, Richard III, comme tu le sais bien. Et quand tu écris, le désir d’être lu, reconnu, …. et quelquefois honni (ce n’est que l’autre face de la médaille) vaut bien la peine que tu te donnes à nous donner ces petites minutes de joie du matin quand nous ouvrons ton blog…

Toujours autant de plaisir à vous lire.

Michel, Je suis parfaitement d'accord avec toi. Nous sommes tous des dépendants affectifs. Et crois-moi, si je plaisante
avec mes petits mails en riant de moi, je partage tout à fait
ce que tu écris et Richard aussi naturellement. Dorebul

Je voulais encore ajouter quelque chose qui m'a fait mal tout à l'heure. Comment se fait-il qu'au moment où la Belgique est ce qu'elle est, la princesse Mathilde est en passe de devenir la femme la plus élégante du monde. Ou qu'elle rivalise avec Carla Bruni pour paraître la mieux habillée. Je trouve quand même qu'on peut essayer de se faire estimer autrement que comme cela. dorebul

Jacqueline aurait certainement aimé être une sorte d'Alcibiade ; ce qui lui importe en effet est de faire parler d'elle à n'importe quel prix . Ainsi elle n'hésite pas à une conversion à l'âge de 95 ans... A-t-elle peur d'être oublié notre académicienne ?

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